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La banalisation et la diabolisation des noms africains en Haïti : le cas des noms Congo, Haoussa et Baka (seconde partie)

Crédit photo: cocomagnanville.over-blog.com

Dans la première partie de cet article, nous avons essentiellement vu comment s’effectue le changement de paradigme de l’africain.e haïtien.ne qui le porte inconsciemment à adopter le référent “blanc” en ce qui concerne sa façon de nommer. Et le fait qu’il.elle intériorise le regard dégradant du maître à son égard, depuis le temps de l’esclavage et de la colonisation, il.elle se porte aujourd’hui à ignorer et à négativer servilement ses propres valeurs, son africanité et ses repères ancestraux. Nous avons vu, de fait, comment les noms des peuples africains, les Haoussa et Congo étant nos frères, sont banalisés et diabolisés en Haïti. Notre propos, à partir du constat qui est fait sur le terme Baka, va être le même.

Le nom de Baka est principalement profané par les individus christianisés en Haïti. Il.elle.s assignent ce nom à Satan qui est l’ange déchu de la littérature biblique. Baka, comme il s’écrit en [créole] haïtien, signifie aussi “laid”, “laideur”. Dans le premier cas,  il est facile de voir et entendre des chrétien.ne.s, des pasteurs généralement, exorciser un.e “possédé.e” d’un “diable racial”, s’écriant avec assurance : tonbe baka, tonbe dyab ! (agenouillez-vous baka, agenouillez-vous diable!). D’ailleurs, cette formule qui, selon elles/eux, sert à chasser Baka, est abondamment répétée par nombre de fidèles lors des prières et/ou des jeûnes dits de “délivrance”, en quête d’une guérison, d’un visa, d’un mari, d’un bébé, d’un travail, etc. Cela voudrait dire que Baka, présent dans leurs vies parce qu’étant un démon, étant le Diable même, est responsable de la misère ou du malheur qu’il.elle.s perçoivent comme le prix des péchés de leurs ancêtres et des leurs. Dans ce climat de culpabilité, de désespoirs, de supplications et d’espérance, l’haïtien.ne christianisé.e personnifie son angoisse face à la vie en cet être impitoyablement malfaisant et la représentation qu’il fait de lui reflète parfaitement, mais bien malheureusement, sa propre apparence en termes de couleur épidermique. Dans le second cas qui n’est pas tout à fait isolé par rapport au premier, une personne pourrait être appelée “Baka”, si l’on juge qu’elle est laide, parce que, trop noire. Gad on Baka! (Regarde-moi ce Baka) avec étonnement. Cependant, il y a un peuple dans les régions du centre de l’Afrique qui porte ce nom. Il se trouve principalement au Cameroun, au Gabon et au Congo. Ses habitants et les Haïtien.ne.s d’aujourd’hui sont liés par rapport au fait que celles-ci/ceux-ci ont parmi elles/eux des descendant.e.s de Bantous, un peuple qui vit en étroite relation avec les Baka.

 « L’aliénation culturelle finit par être une partie intégrante de notre âme […] » disait l’un des plus grands scientifiques du 20ème siècle, Cheikh Anta Diop (1923-1986, Dakar, Sénégal), qui parlait de la condition psychologique du peuple noir, s’accrochant encore excessivement à l’état servile dont il se trouvait durant les quatre siècles passés. En effet, l’aliénation culturelle continue de causer des dégâts considérables dans la mentalité des nations noires de la planète, ayant été asservies par le racisme et le mercantilisme des européens, bien après les arabes, entre le 15e et le 19e siècle. Elle renvoie au fait qu’un peuple se trouve étranger par rapport à lui-même, tant sur le plan culturel que sur le plan historique. Ce qu’il y a de plus terrible dans l’aliénation culturelle, c’est que le peuple qui en est sujet, le fait qu’il soit étranger, n’a plus son propre regard sur la réalité de son existence. Diop disait que l’aliéné.e, c’est-à-dire l’ex-esclave du 19e siècle, répétait-il, a appris à penser à travers la pensée de son ancien maitre. De ce fait, il devient comme normal pour l’africain.e de s’approprier des noms, des langues, des coutumes et des croyances des anciens bourreaux et de rejeter de façon systématique les sien.ne.s. Il faut donc dire qu’Haïti fait aussi partie de ces nations noires, africaines et afro-descendantes qui subissent cette pathologie qu’est l’aliénation culturelle.

Donc comment se fait-il qu’on attribue de tels noms au mal et à la laideur ? À cause de l’aliénation culturelle, le peuple haïtien demeure dans une “inconscience” historique, dans une ignorance de sa réalité culturelle et dans son incapacité à se situer au centre de son existence. Le problème grave c’est que le peuple en question s’évertue à ignorer, à négativer ou à détruire même tout ce qui lui a été légué, tout ce qui fait partie de son histoire et tout ce qu’il a comme valeurs culturelles. Le peuple haïtien ignore et négative son legs africain et son africanité. C’est donc un peuple qui s’attache à s’auto-détruire en niant ses liens de parenté africains et donc, en détruisant ses repères ancestraux. Cela se fait, entre autres, par l’ingurgitation de la pensée du blanc, de l’Européen sur le noir, l’Africain dans le cerveau de celui-ci. C’est ce qu’on appelle désafricanisation : processus par lequel l’africain.e se sépare involontairement de sa pensée et intériorise petit à petit celle de son ancien maître. Il.elle devient donc culturellement aliéné.e, en ce sens où il change inconsciemment de référent à son préjudice. L’aliénation culturelle, qui résulte de la désafricanisation de l’africain.e haïtien.e, est à la base de la banalisation et de la diabolisation des noms africains en Haïti et cause certainement bien d’autres problèmes plus graves que nous aurons à aborder dans d’autres articles.

Crédit photo: cocomagnanville.over-blog.com

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