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La presse haïtienne dans la tourmente !

CC Pixabay

Ces dernières années, des journalistes et certains médias ont été l’objet de plusieurs attaques par des individus malintentionnés. Une réalité qui devient plus triste au cours de ces derniers jours. Face à  cette situation, peut-on dire que de la liberté de la presse est menacée en Haïti ? Que faire pour en finir avec de telles pratiques ?

On dit souvent qu’il n’y a pas de démocratie sans la liberté de la presse. C’est dire que celle-ci est une condition sine qua non au bon fonctionnement de la démocratie, en ce sens qu’elle garantit aux citoyens l’accès à une information plurielle et sans parti pris.

La liberté d’expression est l’un des droits fondamentaux  garantis par la déclaration universelle des droits de l’homme [sic] et du citoyen votée par l’Organisation des Nations Unies (ONU) le  10 décembre 1948.  Ces jours-ci, en Haïti, ce  droit  semble  vraiment  menacé surtout  avec  l’évolution de  la conjoncture politique du pays. Des journalistes font souvent l’objet d’attaques dans l’exercice de leur métier. Et de fait, Haïti occupe la 62e place sur 180 pays dans le dernier Classement de la liberté de la presse de Reporter sans frontière (RSF). Sans nul doute,  dans le  prochain classement, le pays va perdre des points, par rapport aux agissements contre les médias et les journalistes en Haïti.

En effet,  lors des récentes  manifestations de rues pour exiger l’arrestation des dilapidateurs.trices des fonds petrocaribe, à Port-au-Prince, des agents des forces de l’ordre ont ouvertement menacé de mort des journalistes qui faisaient leur travail, alors que la police a  plutôt pour devoir d’assurer la sécurité de la population. De son côté, quelques jours après, l’Office de la protection du citoyen et de la citoyenne (OPC), une institution publique chargée de la promotion et de la protection des droits humains, avait appelé au respect des droits des Haïtien.ne.s et invité les protagonistes à  prendre le chemin du dialogue sans condamner les bavures policières. L’OPC n’est-il  pas été au courant des actes de violences de la Police Nationale d’Haïti (PNH) ou tente-t-il  de les minimiser ?

Vladjimir Legagneur, Pétion Rospide : les familles de ces deux journalistes souffrent amèrement de leurs absences. Le  premier est un photojournaliste disparu depuis 14 mars 2018. Selon sa femme, il était allé en reportage à Grand-ravine (un quartier à l’entrée sud de Port-au-Prince). Depuis lors, on est sans nouvelles de lui. Les enquêtes se poursuivent comme c’est le cas pour Jean Dominique  et Jacques Roche pour ne citer que ces deux-là, car la liste est longue.

Le second a été lâchement assassiné, le 10 Juin 2019, dans la soirée, par des individus non-identifiés pendant qu’il rentrait  chez lui après avoir présenté son émission « Ti bat bouch » sur les ondes de la Radio Sans Fin (RSF). Une nouvelle famille endeuillée ! Un dossier  en plus  qui entre dans les tiroirs de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) qui, jusqu’à présent n’est pas en mesure  de  dire ce qui s’est passé  dans l’affaire de Vladjimir Legagneur. « Les autorités haïtiennes doivent faire toute la lumière sur cette sordide exécution et traduire en justice les responsables de la mort de Pétion Rospide », avait déclaré Emmanuel Colombié, Directeur du bureau Amérique latine pour Reporters sans frontières, a rapporté le site de l’institution internationale, toute suite après l’assassinat du journaliste.

C’est une guerre  acharnée  contre les travailleurs.euses de la presse dans le pays. Des individus  sont à la chasse de journalistes pourrait-on dire. Le journaliste Richardson Jourdan de la Télévision Nationale d’Haïti a été, par ailleurs, roué de coups par des manifestant.e.s le 8 juin 2019 à Port-au-Prince.

Lovelie Stanley Numa, ancienne  journaliste de la radio Vision 2000 a reçu des messages menaçants d’individus non-identifiés, après sa participation, le 16 juin dernier, à la marche pour exiger  que  justice soit rendue au  journaliste de la Radio sans fin,  Pétion Rospide. Selon les dires de la journaliste, on l’a même menacée de viol.  Ensuite, la journaliste  Florence Lisené de radio télé Signal a  été agressée à coups de pierre par des manifestant.e.s qui lui reprochent d’être employée d’un média qui supporte le  gouvernement.

Des médias attaqués

Des médias sont la cible des individus malintentionnés. D’un côté, les  locaux  de la Radio télé Ginen, à Delmas 31, ont été attaqués où plusieurs  véhicules garés dans la remise de la station ont été incendiés. Les dégâts sont évalués à des  milliers de dollars. On ne tolère pas la ligne éditoriale du  média. On reproche  la station d’être proche du pouvoir en place. D’un autre côté, le bâtiment logeant la Radio télé Zénith a été attaqué par balles. Selon les journalistes de ladite station, ces actes ont été perpétrés par rapport à « leur position prise aux côtés de la population qui se mobilise dans les rues ». L’intolérance est donc à son comble ! Des véhicules de la radiotélévision Métropole ont été à deux reprises attaqués dans les rues. Ainsi, les journalistes sont dans une tourmente politique.

Ce n’est pas seulement  à  Port-au-Prince ; des villes de provinces suivent aussi le courant. Une radio communautaire a été incendiée le vendredi 21 juin 2019 dans le département du Sud. Les dégâts sont énormes, selon ce qu’a rapporté  l’agence en ligne Medianou. Vwa peyizan sid (VPS) n’est plus dans l’air. Et l’on ignore pour combien de temps.

Haïti a  déjà connu  de pareils moments, surtout en période de crise politique. Ainsi, ne sommes-nous pas en train de réveiller les vieux démons ?

Des actes qui fragilisent le secteur

Avec la prolifération  des médias, ces dernières années, on trouve des gens  qui  se réclament de leaders d’opinion qui occupent des heures d’antenne. Ceux-celles-ci sont souvent des ami.e.s proches  des directeurs.trices de médias ou des hommes  politiques. Ils.elles veulent  ainsi analyser l’actualité politique sans  avoir suivi une formation en sciences politiques, en communication ou  en communication politique voire  lire un livre  qui parle de la déontologie du journalisme. Ces  gens ont du mal à faire une différence entre être un.e journaliste dont la principale mission est d’informer la population et  un.e militant.e  politique  qui mène une lutte intéressée.

Pour beaucoup, ils.elles sont des ancien.ne.s ou futur.e.s candidat.e.s, des membres  des organisations politiques, ils.elles utilisent  leurs  micros à titre de leaders d’opinion pour soudoyer des  fonctionnaires d’Etat. Il y a d’autres  qui  veulent  seulement se faire nommer consultant.e. Mais hélas !  C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles on écoute toujours les mêmes  voix à leurs émissions. Ils.elles reçoivent n’importe qui  dans leurs espaces.

En outre, il y a certains médias  qui changent de lignes éditoriales autant que les gouvernements changent. En réalité, le plus  souvent, ils le font pour ne pas rester « dehors », expression utilisée pour qualifier ceux.celles qui ne sont pas dans le pouvoir.  En effet,  ils changent  de positions soit  après  la résiliation  d’un contrat de publicité  qu’ils avaient signé avec  une institution  publique ou un gouvernement soit  pour  trouver des contrats.

Pour finir avec ces pratiques

L’État doit prendre sa responsabilité pour garantir la liberté d’expression.  « Il est de la responsabilité du gouvernement de garantir la sécurité des journalistes qui couvrent les manifestations, dont le rôle pendant cette période mouvementée est fondamental », a  enjoint M. Colombié aux autorités haïtiennes. Mais, cela ne suffira pas tant que l’on n’éduque pas la population. Des programmes d’éducation aux médias sont donc essentiels.

C’est dire qu’il faut qu’on explique à la population quelles  sont les principales missions d’un média. Les gens ne savent souvent rien des lignes éditoriales des médias dont ils.elles sont les consommateurs.trices. Étonnamment, il existe des animateurs.trices d’émissions qui n’ont aucune idée là-dessus non plus.  Au fait, la ligne éditoriale représente l’ensemble des choix et décisions que fait un comité de rédaction, un.e producteur.trice de radio ou un.e producteur.trice de télévision, pour se conformer à une ligne morale ou éthique définie. En  Haïti, trop souvent, l’intérêt économique vient avant la morale et l’éthique, dans certains médias. Malheureusement !

Il n’est pas normal qu’un média reçoive en direct des individus, caché.e.s derrière leurs téléphones, qui profèrent des menaces  à l’endroit d’autres médias ainsi que d’autres journalistes. C’est inadmissible !  Nous devons donc avoir une institution de contrôle pour surveiller ces dérives. Et ce ne sera pas une simple association mais une institution qui va tout traiter avec impartialité.

En somme, il nous faut une presse qui informe et éduque bien la population. Il nous  faut une presse qui a comme boussole la déontologie du métier. Quand  un.e  travailleur.euse de presse  fait son travail hors du respect  des normes établies, il faut qu’il.elle soit sanctionné.e. Nous devons donc  avoir une presse plus utile. Les médias doivent cesser d’être un espace pour promouvoir la haine et pour proférer des injures. L’espace médiatique ne doit être jamais un espace de dénigrement.

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