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Le corps de la femme haïtienne, des propos déshonorants

En 2019, encore en Haïti, certains peinent à accepter la femme comme égale à l’homme. C’est un fait. Pour plus d’un, elle doit rester à la maison faire le ménage. Être la femme au foyer est le seul statut possible et acceptable qu’elle puisse avoir dans la société. Et ça va plus loin. Les parties de son corps les plus intimes sont dénigrées. On en fait des propos injurieux pour atteindre un adversaire.

Cette pratique est devenue incontournable. Naturelle. On peut l’entendre partout. Le corps de la femme qui sert de bêtises. Par n’importe qui. Une fois en colère contre l’autre, souvent la première chose qu’on dit comme un mauvais propos pour passer une nervosité, pour se défouler, pour revendiquer, pour blesser l’autre moralement, c’est « langèt manman ». Le 31 octobre 2019 on a pu entendre en direct sur zénith Fm la journaliste Lunie Joseph répétant ces mêmes propos venant d’un agent du corps USGPN qui l’insultait en exerçant son travail de journaliste.  

Dans la langue française le mot languette est ainsi défini : « objet qui a une forme mince, étroite et allongée ». Dans le parler haïtien, le mot languette fait référence au vagin. Aujourd’hui, cette pratique consistant à utiliser le corps de la femme comme bêtise fait partie de notre culture. Tout le monde l’accepte, même les gens les plus instruits, les plus honnêtes et qui luttent pour une  société plus aimante où tout le monde aura sa place dans le respect. Ricardo Jean Louis habitant à Pétion-ville et diplômé en sciences de l’éducation est un citoyen humble, tranquille. Il est respectueux envers tous mais il l’est davantage envers les femmes parce que dit- il, il a une mère et une sœur. Et également, il soutient la lutte pour l’émancipation de la femme. Mais ceci n’empêche pas cela : ça lui arrive de dire ‘’langèt manman’’ à quelqu’un où à l’État haïtien pour exprimer sa colère. Il avoue : « je dirais qu’il s’agit là, d’un cliché que nous reproduisons, dans des cas comme celui-ci, en l’occurrence d’exprimer notre colère. Je doute que la personne homme ou femme qui les prononce le fait  vraiment dans un esprit de dénigrement. La personne n’y voit qu’une injure. Effectivement, il faut s’attaquer à ces genres de choses, car toujours des motifs se trouvent cachés après les clichés. Les clichés sont pour ainsi dire, conscients. Ce sont ceux et celles qui les reprennent qui le feraient inconsciemment. Donc, aucune blessure dans ce cas n’est inconsciente ».

Des clichés qui ne laissent pas indifférents, les manifestant.e.s lors des revendications populaires. Dans les sit-in, les marches, contre un gouvernement, contre une institution c’est le même constat. Les contestataires prononcent toujours ‘’langèt manman’’ ou ‘’kolangèt manman’’ untel.  Même  des artistes engagés, la plupart du temps s’engouffrent dans la brèche et se laissent traîner dans ce courant. Herby François, artiste engagé et très apprécié dans le milieu culturel tombe lui aussi dedans. Dans ses performances en live, il a l’habitude de fredonner avec ses publics ‘’ mmmm untel  kolangèt manman w’’.

La lutte pour une révolte de l’être féminin qui a été composée par une majorité de femmes au Cap Haïtien en mai 1865 dans le quartier de la Fossette, on peut dire aujourd’hui, a fait beaucoup de progrès avec la relève. Mais on est encore très loin en ce qui concerne surtout le respect de la femme haïtienne. Les femmes elles-mêmes utilisent ces clichés dans une situation quelconque. Les injures varient d’une personne à une autre. Pour les plus courants il.elle.s disent ‘’al konyen manman w, koko manman w, kolangèt manman w’’, etc.

Armand Joseph Jules est sociologue et militant politique. Il dit n’admettre pas l’idée qu’il soit péjoratif de servir du  corps d’une femme pour chercher à atteindre une personne dans son affect. Il pense, au contraire, que c’est parce que le corps de la femme a une telle valeur dans la société qu’on croit toute tentative de dénigrement de celui-ci finira quand même par faire mal.

Le pétro-challenger a ajouté pour dire, même si nous voulons voir changer nombre de choses, nous balancerons toujours des injures contre celles et ceux qui nous disent ou nous font ce qui nous déplait. Selon le sociologue, la sociologie s’exercera sur les actions des hommes et des femmes ou sur les  expressions ; ce qu’elles disent, ce qu’elles font. Il ne parle pas de violence que l’un peut être enclin à exercer sur l’autre. Car il y a des institutions placées pour s’en occuper. Il souligne que, toujours des émotions surviendront dans nos relations avec les autres.

Ce qu’il a dit est sensé: on lui dit ce qui va le toucher dans son affect à quelqu’un pour le porter à changer ou à réagir. Mais le corps de la femme jouant le mobile, semble gênant. Juste dire qu’il s’agit de toucher la personne par ce qui va le toucher dans son affect, n’enlève rien du non-respect à l’égard de la femme. Il faut éviter de rendre cela confortable.

Pour l’économiste Marcna Andy Pierre, utiliser le corps de la femme haïtienne  comme des bêtises pour passer une frustration est une mauvaise chose. Et cela a un rapport avec l’éducation que nous recevons. Parce que notre plus grand problème, c’est le manque d’éducation sexuelle, on peut dire qui n’existe presque pas.

Selon la fondatrice de Demwazèl, il faut montrer l’importance et l’utilité du corps de la femme. Également, on doit éduquer sexuellement la population pour une compréhension du droit de la personne.                 

Dans cette autre Haïti que nous prônons, il y a beaucoup de choses qui méritent d’être éliminées. À commencer par cette pratique qui déshonore le corps de la femme haïtienne. Tout le monde doit y mettre son grain de sel pour y arriver tou.te.s ensemble à éradiquer ce phénomène.   

Photo: illustration

Credit: stephanie-pirson.com

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