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Paradoxe sur la question de l’aide et développement en Haïti

Aujourd’hui, on ne peut pas penser à analyser la crise haïtienne sans tenir compte de la globalisation. [1] Laquelle est considérée à la fois comme un système, une idéologie, un processus, un alibi et une mythologie moderne. Selon les points de vue, selon les besoins de la cause, selon l’usage que l’on veut en faire. Elle est pour certains auteurs synonyme de la mondialisation. [Ibid.] La mondialisation des moyens de communication par exemple, ne peut être en soi que bienfaisante pour l’humanité, qui peut ainsi échanger du savoir, des techniques et des valeurs. Par contre, leur globalisation entraine la concentration et le contrôle de l’information dans les mains de quelques dirigeants de firmes transnationales.

La doctrine de fond prônée par la globalisation est le libéralisme, celui-ci est caractérisé par l’individualisme, la compétition, la guerre économique, la concentration extrême de la richesse, etc. Il existe surtout dans le tiers-monde, en Asie et en Afrique un régime politique imposé par cette doctrine intitulée « l’aidocratie ». Ce régime politique né de l’aide publique au développement, dans le but d’influencer la politique de certains pays à travers le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque Mondiale, etc. Alors d’où venait l’expression de l’aide et développement ?

L’histoire de l’aide et développement selon David Sogge [2] venait de l’Europe de l’Ouest (1948-1952) après la seconde guerre mondiale, la majeure partie de l’Europe de l’Ouest était en ruine […]. Dans la même perspective Eric Toussaint [3] souligne le montant total de l’aide correspond à environ 90 milliards de dollars actuels. Les États-Unis demandent aux États acceptant d’aide plusieurs contreparties : d’abord que les pays européens coordonnent les dépenses de reconstruction au sein de l’OECE (Organisions Européenne de Coopération Économique), aujourd’hui elle s’appelle OCDE (Organisation de Coopération de Développement Économique). Pour renforcer le bloc opposé au bloc soviétique, les États-Unis ont ainsi contribué à la coopération européenne, prélude à la construction européenne. Ensuite, les États-Unis exigent que l’argent serve à acheter des produits de l’industrie américaine. Ce fut selon Sogge la grande réussite de l’aide au développement – elle n’a jamais été égalée auparavant ni depuis.

Alors, l’orientation de l’aide et développement en Haïti n’y a –t-elle pas une forme d’exécution beaucoup plus spéciale? La situation d’Haïti est à la fois similaire et divergente des pays africains et asiatiques. D’une part, elle est similaire, [Ibid.].  Dans une étude détaillée relative à un programme de plusieurs millions de dollars qui a échoué au Lesotho, l’Anthropologue James Ferguson affirme que le système d’aide a un effet à double tranchant. Tout d’abord, il s’agit « d’une machine qui renforce le pouvoir bureaucratique de l’État et qui, soit dit en passant, se sert de la pauvreté » comme point d’entrée. Ensuite, sous l’apparence d’une mission technique neutre à laquelle personne ne peut s’opposer. Il dépolitise à la fois la pauvreté et l’État.

[Ibid.] Quelque chose de semblable, mais de plus tragique ressort d’une étude minutieuse sur l’aide au Rwanda jusqu’au génocide de 1994. Le Politicologue Peter Uvin, qui se sert du concept de la violence structurelle, parvient aux mêmes conclusions : malheureusement non seulement le système d’aide au développement est inefficace, ses effets non durables, ses impacts limités et incertains- aussi insatisfaisant que cela puisse être – mais il contribue aussi, et de nombreuses façons, au renforcement de processus de violence structurelle […]. 

D’autre part, elle est divergente, car nous avons en tant que pays une histoire unique à travers l’humanité. [4]La Révolution haïtienne est porteuse d’une Révolution anti-plantationnaire, antiraciste, anti-esclavagiste et aussi anticapitaliste, suivant l’approche de Jean Casimir. C’est  pourquoi peut-être, la forme d’opérationnalisation de l’aide et développement en Haïti montre que la situation du pays est un cas vraiment spécial surtout après le séisme du 12 Janvier 2010. 

« La CIRH a été conçue comme une structure destinée à aider non pas Haïti ou les Haïtiens, mais les donateurs »

[5]Aujourd’hui Haïti se trouve en concurrence pour l’Aide publique au développement (APD) avec les autres pays du monde. Les fonds prévus pour 2012 et 2013 ne vont cesser de s’amenuiser. Aussi l’argent versé par le biais de l’aide reste aux donateurs. « Soyons clair : la CIRH (commission Intérimaire pour la reconstruction d’Haïti) a été conçue comme une structure destinée à aider non pas Haïti ou les Haïtiens, mais les donateurs – auxquels elle permet de canaliser les contrats de projets des multinationales et des ONG, rappelle l’un des consultants de la CIRH. Ces projets émanaient des institutions qui dirigent Haïti depuis toujours, la Banque internationale de développement, la Banque mondiale, l’ONU, USAID – et de pays donateurs ayant promis suffisamment d’argent pour s’assurer un siège au conseil d’administration de la CIRH. Cela signifie que les buts déclarés de la CIRH (évaluer les besoins de la reconstruction pour y répondre d’une manière systématique et coordonnée) étaient par définition impossibles à atteindre. Ainsi, ce qui nous préoccupe à travers cette approche est la suivante : n’y aura-t-il pas un paradoxe sur la velléité de la société civile de résoudre la crise socio-économique, culturelle et politique haïtienne tout en suivant la même logique du Fond monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, etc.?

On utilise le concept de la société civile dans la même démarche de l’historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo, « la société civile, c’est le peuple face au pouvoir ». Cette définition simple suggère que le premier pouvoir, la source de tout pouvoir, réside dans le peuple et ses organisations de base. C’est-ce qu’elle est en train de faire maintenant, à travers tout le pays pour demander la démission du Président Jovenel  Moise sans aucune condition ; cependant, pourquoi le président ne veut pas démissionner, qu’il demande de préférence le dialogue dans ce contexte sociopolitique. Est-ce que la Présidence n’avait-elle pas la possibilité d’éviter ce drame politique? Si l’on a fait la radiographie de l’État, il y a eu une tradition autocratique et non pas de dialogue.

« De toute façon, la résistance de la Présidence est due au support de l’Internationale communautaire qui traduit la faiblesse de la société civile. » 

Dans ce même ordre d’idée, [6] l’Internationale communautaire possède donc ses propres organes économiques (FMI, Banque mondiale, OMC, et succursales régionales), ses propres instances politiques (le G-8, qui tend à s’élargir) et ses instruments idéologiques (Moyens de communication de masse, ONG, etc.). Aussi la communauté internationale est-elle donc une falsification à peine voilée de l’Internationale communautaire, pour mieux légitimer la domination exercée par le capital sous couvert de développement.

L’aide et développement n’est-il pas un problème présentant comme une solution ? En Haïti comme ailleurs à partir de ce que nous avons élaboré là-dessus, l’aide est porteur plus de problème que de solution. [Op.cit.] En décembre 1997, le gouvernement de Séoul se soumet aux conditions imposées par le FMI. Si la Corée du sud ne se situait pas dans une position géostratégique pour les États-Unis et le Japon ; elle prenait une grande frappe chez la Banque Mondiale. Malgré tout cela, le 8 janvier 1998, la monnaie Coréenne, le won, s’était déprécié de 96,5% par rapport au dollar américain. 

Aussi en Haïti, le FMI a imposé en 2003 la fin du système permettant au gouvernement de contrôler le prix de l’essence, le rendant alors « flexible ». En quelques semaines, le prix du carburant à augmenter de 130%. Du coup le salaire quotidien minimum, qui était de 3 dollars en 1994, est tombé à 1.50%. En ce sens, une brève lecture sur la situation socio-économique haïtienne face à l’imposition actuelle de FMI et de la Banque mondiale au gouvernement haïtien à la lumière du soulèvement des 6, 7 et 8 juillet 2018 nous permet de mieux comprendre la logique de ces derniers. En fait, institution de Bretton Woods semble être une menace à éviter si l’on voudrait résoudre réellement les crises auxquelles fait face le pays.

Le Programme d’Ajustement Structurel(PAS) imposé par les institutions  de Bretton Woods joue un rôle fondamental de la déréglementation des sociétés. [Op.cit.]Ce programme joue aussi un rôle de « courroie de transmission » pour faciliter le processus de mondialisation qui passe par la libération, la déréglementation et la réduction du rôle de l’État dans le développement national. 

Le modèle politique appliqué par le FMI et la Banque Mondiale afin d’injecter des sommes d’argent à travers des projets de développement local ayant un double sens dans les organisations paysannes haïtiennes. D’une part, il peut être néfaste pour la structure paysanne tout en ralentissant leur productivité, voire la détruire, surtout à partir de l’importation  à outrance du pays.  D’autre part, il pourrait faciliter l’imposition du modèle de développement occidental grâce aux supports de certaines organisations paysannes, vu les attitudes de ces dernières de la « résistance au changement [7]» local dans le but d’assurer leur survivance et de faire « la gestion du sous-développement » [8]. Cette gestion pourrait être traduite par le choix politique des agents du développement local.

L’aide est une dynamique ambiguë à plusieurs facettes. Il peut être l’aide multilatérale, bilatérale, etc., mais poursuivant la même finalité. Ses formes d’aide ont toujours une répercussion directe sur la vie et les droits fondamentaux de tous les peuples. Alors, pourquoi offrir de l’aide au développement ? Généralement c’est à partir de la motivation du pays donateur. [Op.cit.] Cette motivation pourrait être socio-politique stratégique, commerciale ainsi qu’humanitaire et éthique. Le pays qui accepte de prendre l’aide se trouve le plus souvent en situation de besoin. C’est aussi un moyen pour quelques gouvernements de faire du lobbying sans résoudre réellement les problèmes socio-économiques de leur population. 

En ce sens, la question de l’aide et développement semble créer une pratique de clientélisme au sein des institutions nationales et internationales. À titre d’exemple la dilapidation du fonds petro caribe en Haïti. D’où la logique de la corruption qui est collective, diffuse, circulant à travers toutes les structures sociales du pays. Cette logique devient un « habitus » si j’ose interpréter le concept de Pierre Bourdieu [op.cit.], c’est-à-dire des systèmes de dispositions durables. En fait, le modèle de développement de l’occident, imposé au reste du monde, est une machine à exclure [9].

« La question de l’aide et développement est essentiellement politique »

En somme, à la lumière de ce que nous avons dit concernant la question de l’aide et développement, elle n’est pas forcément une question économique mais elle est essentiellement politique. Du fait qu’elle est un instrument de domination. L’aide est le plus mauvais moyen de favoriser le développement [10]. Alors, peut-on parler du concept de développement en Haïti en considérant cet adage : « pas de démocratie sans développement ». Il est difficile d’en parler, car nous n’avons ni l’un ni l’autre. Il faut souligner le concept du développement est conçu différemment suivant les auteurs. En même temps, il est nécessaire de mentionner, qu’il serait mieux de parler de la « démocrature » au lieu de la démocratie en Haïti.

En ce qui concerne du concept de développement nous voulons justement proposer d’un développement équitable pour Haïti dans la même logique de Claude Marchand [ibid.] Il est non seulement une autre façon de penser le développement dans sa globalité, c’est aussi, et parfois surtout, une façon de valider le droit pour chaque être humain de trouver dans son environnement naturel et culturel les conditions nécessaires à son expression et à son épanouissement. 

Il est donc urgent que l’Internationale communautaire soit plus cohérente et moins cynique dans ses politiques d’aide et développement. Il est nécessaire qu’il contribue plutôt à renforcer l’autodétermination des pays. Si le FMI et la Banque Mondiale ne s’arrêtent pas dans leurs stratégies politiques, mettez-les en quarantaine du pays. Bien qu’on ne croie pas qu’il aura eu  une stratégie politique au sein de la société civile pour écarter Haïti de la politique des institutions de Bretton Woods. De ce fait, on termine cet article à travers cette pensée, [Op.cit.] Einstein prévient qu’il ne faut pas compter sur les architectes du présent système pour le changer : «  Aucun problème ne peut être résolu en partant du même état d’esprit que celui qui l’a engendré.» 

Photo de couverture:  Vue partielle d'un camp de déplacés de la rue Gabart, à Delmas 41

 [1], JACQUES B. Gélinas, la globalisation du monde, Montréal, écosociété, 2000.

[2], SOGGE David, les mirages de l’aide internationale, Tunis, Cérès, 2003.

[3], TOUSSAINT Eric, banque mondiale, le coup d’État permanent, Paris, Syllepse, 2006.

[4], CASIMIR Jean, Haïti et ses élites, l’interminable dialogue des sourds, Port-au-Prince, UEH, 2009.

[5] Stéphanie Barzasi, olivier Vilain, Haïti : de la perle au caillou, s.l, golias, 2013.

[6], LOUIS-JUSTE Jean Anil, crise sociale et internationale communautaire en Haïti. http://www.alterpresse.org/sp.p.php ? Publié le 8 aout 2003.

[7], BOUDON Raymond, la logique du social, Paris, Pluriel, 2009.

[8], JEAN JACQUES Fritz, le développement et la gestion du sous-développement, Québec, Oracle, 2007.

[9], LATOUCHE Serge, la planète des naufragés, essais sur l’après-développement, s.l. La découverte, 1991.

[10], MARCHANT Claude, Nord-sud : pour un développement équitable de l’aide au contrat, Paris


 

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