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La misère des droits de l’Homme : Make America segragationist again

A mural of George Floyd painted by the artist eme_freethinker on a wall at Mauerpark in Berlin, Germany, May 30, 2020. The 46-year-old African-American, died on May 25, 2020 after a Minneapolis police officer, was kneeling on Floyd's neck for several minutes during his arrest. The controversial act of police brutality sparked violent demonstrations throughout the U.S with reports of riots in Minnesota, California, New-York and more. Reports also mention that Derek Chauvin, one of the police officers allegedly involved in the incident was arrested and will be charged with Third-degree murder./29944062/Omer Messinger/2005310046

Hommage à George Floyd

Introduction

« Pour que l’envers d’une chose soit proprement vu, il convient de se placer de telle sorte que la face arrière devienne la face avant », Igor Sokologorsky, Balzac et l’envers du monde

« Etre noir, en Amérique, c’est porter la trace historique de l’esclavage et du démembrement familial. », Martin Luther King, Black Power.

Les droits de l’Homme ne sont plus gravement reniés que lorsqu’ils sont bafoués par ceux qui sont censés les faire respecter. Incarnant le monopole de la violence légitime, pour parler comme Weber, dans toute société démocratique, la police devrait constituer un indiscutable rempart contre la criminalité, un véritable bouclier pour les droits de l’Homme. Son ultime vocation devrait être la défense et la protection de la population. Toutes et tous. Sans aucune distinction de race, de langue, de religion ou de couleur, tel qu’il est mentionné aux termes de l’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948. Néanmoins, s’il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, il faut en être un pour ne pas constater qu’aux Etats-Unis l’usage de la violence par la police n’est pas toujours légitime, et sa fonction ne rime pas toujours avec l’universalisme de la Charte de 1948. Les brutalités policières contre les minorités ethniques, notamment les Noirs, constituent en effet un baromètre de mesure infaillible de cet état de fait. Le meurtre (c’est la moindre des qualifications en l’espèce) de George Floyd- survenu le 26 mai dernier à la suite de traitements inhumains et dégradants subis de la part de la police de Minneapolis lors de son arrestation, – est le dernier en date d’une longue série de meurtres à tonalité raciste. Comment expliquer rationnellement, en nous appuyant sur les « bavures policières », que les droits de l’Homme soient systématiquement bafoués par leurs champions autoproclamés ? Quels sont les ressorts, les soubassements idéologiques et politiques ou les « forces profondes » de cette désinvolture qui, aujourd’hui encore, transperce nos écrans? Serait-elle la résultante logique d’un vide normatif ou juridique? Cet article, dont le sous-titre se veut hommage à George Floyd, se propose de mettre en relief, tant soit peu, la misère infligée aux droits de l’Homme par l’oncle Sam.

Profusion normative en matière de protection du droit à la vie et de la dignité humaine

Contrairement à ce que la réalité pratique des actes de torture pourrait laisser entendre, il existe une panoplie de textes juridiques internationaux garantissant le droit à la vie et la dignité humaine, signés et ratifiés par un nombre considérable d’Etats à travers le monde, particulièrement les États-Unis. Il n’est donc pas vain, dans le cadre de cette réflexion, de passer en revue l’ensemble de ces instruments juridiques protecteurs des droits de l’Homme.

Citons, par exemple, la Déclaration universelle des droits de l’Homme- texte fondateur adoptée par l’Assemblée générale le 10 décembre 1948-, dont les principes ont acquis depuis, selon une partie de la doctrine, le caractère coutumier, c’est-à-dire qu’ils sont désormais opposables aux Etats. En plus d’accorder une valeur fondamentale au droit à la vie en son article 3, ce monument juridique, rédigé sous l’instigation des États-Unis, interdit la discrimination, l’esclavage et la torture en ses article 4 et 5.

Dans le sillage de la Déclaration, d’autres traités internationaux à vocation universelle ont été adoptés afin de prévoir des mesures de protection spécifique contre toutes les formes de discriminations, mais nous retenons ici la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 1965, entrée en vigueur en 1969 et ratifiée par les États-Unis d’Amérique en 1994.

A côté des instruments internationaux, on trouve aussi bon nombre de traités régionaux qui garantissent le droit à la vie et la dignité humaine. C’est le cas, par exemple, de la Convention européenne des droits de l’Homme en ses articles 2 à 4 ; la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants de 1985 ;  la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants de 1987 [Corten, 2017, p. 247].  

Ces dispositifs juridiques étant, le besoin d’intelligibilité relatif aux violences policières contre les Noirs aux États-Unis demeure entier. Dès lors, ne faut-il pas éclairer hier pour rendre l’aujourd’hui de ces brutalités plus compréhensible ?

Le ségrégationnisme aux États-Unis : vivre en présence du passé

Il serait certainement fallacieux, voire incongru de tenter de comprendre les brutalités policières de notre ère aux États-Unis sans jeter un coup d’œil interrogateur sur le ségrégationnisme dans ses dimensions ethno-raciales. En vue de poursuivre nos pérégrinations intellectuelles, il convient de faire deux remarques importantes. Premièrement, les violences policières sur les minorités ethniques n’ont rien à voir avec une exceptionnalité américaine. A ce titre, la France ne fait pas figure d’exception. Deuxièmement, n’en déplaise à ceux qui, en découvrant ici la notion, s’aventureront probablement- sur un ton moralisateur, avec des commentaires condescendants- à parler d’usage conceptuel abusif, voire d’anachronisme, nous affirmons d’emblée que la ségrégation ethno-raciale, cette ligne de partage entre Noirs et Blancs, persiste encore aux États-Unis. Tant dans la chair que dans les esprits. Et les violences policières traduisent sans l’ombre d’un doute la persistance des relents ségrégationnistes de facto, du moins l’une des formes contemporaines du ségrégationnisme aux États-Unis. Nous vivons donc en présence du passé.

La consultation des dictionnaires de langue nous a permis de voir la richesse définitionnelle de la notion de ségrégation. Toutefois,  nous retenons que celle-ci s’entend de l’intentionnalité de mise à l’écart d’un groupe social [cf. Shon, 2009]. Elle est de ce point de vue l’exact synonyme de la séparation, de l’exclusion. Celle-ci « renvoie aujourd’hui à la précarité de l’emploi, à l’absence de qualification, au chômage, à l’incertitude de l’avenir, auxquels s’ajoutent un sentiment de honte, de culpabilité, une détérioration du statut social, un déficit d’estime de soi et une modification négative de l’identité [Castel, 1995]». Cette ségrégation est l’aboutissement de tout un processus de discriminations fondées sur la couleur de l’épiderme, dans l’accès au logement, à l’éducation, à l’emploi et à la santé. C’est ce qui se joue encore de nos jours aux États-Unis, ce pays au long passé colonial et raciste. Comme l’a révélé d’ailleurs la crise sanitaire du coronavirus ayant fait plus de victimes parmi les Noirs et les pauvres chez la première puissance économique mondiale. Dans l’Etat du Michigan, par exemple, Washington Post  avait rapporté que 40% des décès dus au Covid-19 proviennent de la communauté noire. De plus, si l’on en croit l’épidémiologiste spécialisée dans les aspects sociaux des maladies infectieuses, Grace A. Noppert, « le nombre élevé de décès au sein de la communauté noire aux Etats-Unis est en grande partie dû à des siècles de ségrégation et de discrimination qui ont relégué une proportion très élevée de Noirs dans des quartiers pauvres et surpeuplés où l’accès au service de santé est largement insuffisant [The conversation du 19 avril 2020]. » Cela dit, Martin Luther King avait-il tort de noter en 1964 que « le préjugé antinoir fait partie intégrante de la personnalité américaine ; ce préjugé s’est nourri de la doctrine de l’infériorité d’une race par rapport à une autre [cf. King, 1964, p. 172]? » Le discours politique n’a-t-il pas contribué à rallumer les braises du passé raciste et ségrégationniste?

Le style haineux du discours présidentiel : courroie de transmission de la discrimination

La lutte à outrance de l’actuel locataire de la Maison-Blanche, Donald Trump, contre l’immigration a été à l’origine d’un type de discours empreint d’humiliation, de racisme et de xénophobie, et notamment de sentiments hostiles à l’égard des Noirs. N’a-t-il pas traité les pays africains, y compris Haïti, de « pays de merde » [Le monde du 13 janvier 2018]?

Aux Etats-Unis, les Noirs ont toujours été la cible de propos haineux, de violences et de discriminations systématiques. Si, comme le souligne Bertrand Badie [2014] dans le Temps des humiliés. Pathologies des relations internationales, l’humiliation ou la « diplomatie du mépris », dont les discours de Trump sont à la fois une illustration claire et une courroie de transmission assez efficace peut entrainer une animosité, voire des provocations de l’Etat humilié à l’encontre de l’humiliant, elle contribue aussi à créer immanquablement sur le territoire de celui-ci davantage de racialisation des rapports sociaux, de communautés parallèles ou antagonistes, dont les conséquences raisonnables sont les discriminations et la guerre fratricide, et à remettre fondamentalement en cause les dispositifs juridiques et normatifs de protection des droits de l’Homme. Les États-Unis ont pourtant signé la Déclaration Universelle des droits de l’Homme qui, outre son article 1er affirmant l’égalité « en dignité et en droits » de tous les êtres humains, consacre dans son article 2 l’interdiction des discriminations, notamment celles fondées sur la race, l’origine, la religion et le sexe.

Avec de tels mécanismes discursifs, il n’est plus à douter que la haine de l’Autre soit encore très loin de dire son dernier mot aux États-Unis. Et de fait, le 17 juin 2015, un tireur abat neuf personnes dans une église de Charleston, une église emblématique de la communauté noire, en jurant haut et fort : « Vous violez nos femmes et envahissez notre pays. Vous devez partir [Mastor, 2015]. » Il n’est pas sans importance de rappeler qu’en 2015 les États-Unis étaient encore sous l’ère Obama.

Il tire à conséquence de mentionner que le meurtre de George Floyd n’est qu’un cas parmi d’autres. Autrement dit, d’autres faits de même nature dessinent la ligne sombre et rectiligne de la misère des droits de l’Homme aux États-Unis. Comment alors passer sous silence le cas de Tony Robinson, jeune afro-américain de 19 ans abattu par la police ; le cas de Michael Brown, abattu à Ferguson dans le Missouri ; le cas de Eric Ganer, un homme noir de 43 ans ; le cas de Tamir Rice, jeune afro-américain de 12 ans [cf. Boudoux] ? Sans oublier le cas de Ahmaud Arbery [Le point du 09 mai 2020]. Tous des Noirs. Est-ce la raison pour laquelle leur existence n’a aucun sens aux yeux de la police américaine ? Est-ce vrai que la vie des Noirs ne compte pas ? S’il y a autant de colère partout aux Etats-Unis après le meurtre de George Floyd, c’est certainement parce que les choses ont trop duré et que la communauté noire de ce pays ne peut plus respirer. Des mesures s’avèrent alors nécessaires afin d’y mettre fin.

Pour en finir avec cette négation de la dignité humaine

Tout compte fait, même si les violences policières aux Etats-Unis ne sont, pour le dire paradoxalement, que la partie submergée de l’iceberg en ce qui concerne les pratiques qui sapent frontalement les fondements de l’universalité des droits de l’Homme, la liste pourtant non exhaustive de ces brutalités que nous venons de dresser met en évidence l’urgence d’adopter des mesures administratives, institutionnelles et idéologiques efficaces afin de tenter de mettre un terme à ces pratiques ignobles autant d’espérer faire progresser la cause des droits de l’Homme. Car, comme chacun sait, on ne saurait résoudre des problèmes structurels, systémiques et séculaires, comme le racisme, la discrimination, la précarité et les violences policières en un Week-end avec un « Yes we can ». Encore moins en révoquant systématiquement les seuls policiers (les bourreaux ?) concernés par ce genre de matraquages.

Dans cet ordre d’idées, sachant que les minorités défavorisées, déjà en butte à des difficultés disproportionnées, deviennent souvent les boucs émissaires d’autres franges de la population qui se sentent dépossédées, la défense des droits sociaux est absolument cruciale pour éviter d’augmenter les écarts, de creuser les inégalités et d’aggraver les injustices [Hammarberg, 2011] car, pour rappel, l’universalité des droits de l’Homme implique également l’indivisibilité des droits civils et politiques et des droits économiques, sociaux et culturels, entendue comme la condition effective de tous les droits. C’est d’ailleurs dans cette perspective que Isaiah Berlin [1969] affirme qu’ « octroyer des droits politiques ou des garanties contre l’ingérence de l’Etat à des hommes en guenilles, illettrés, sous-alimentés ou affaiblis par la maladie revient à se moquer d’eux. »

En outre, l’Etat doit mettre en place et/ou renforcer les mécanismes disciplinaires indépendants formés par des professionnels œuvrant dans le domaine des droits de l’Homme, incluant une certaine diversité en termes d’ethnicité, afin de traiter les plaintes dirigées contre les policiers impliqués dans ces actes de barbarie.

Il est pareillement important de mener des enquêtes effectives, efficaces et approfondies lorsque le recours à la force par ces agents de l’Etat entraine la mort d’un homme, qu’il soit Noir ou Blanc, riche ou pauvre, afin de les soumettre, non pas à la simple révocation, mais à des peines privatives de liberté, dans les conditions prévues par la loi.  

Et puisque la virulence de ces brutalités policières, contraires aux droits de l’Homme, est à la hauteur des enjeux identitaires [cf. Sen, 2006], il est fondamental de procéder à de sérieuses campagnes d’éducation dans toutes les sphères de la société américaine, lesquelles doivent être nécessairement articulées autour des valeurs des droits de l’Homme ; et au cours desquelles les notions de dignité humaine, d’égalité et de discrimination seront au centre du débat. L’Etat parviendra ainsi à créer un véritable vivre-ensemble entre les membres du corps social.

Enfin, nous sommes persuadé qu’il s’agit-là de l’une des meilleures façons d’améliorer les relations entre la police et les minorités, d’aboutir à une meilleure utilisation des pouvoirs de police et éviter la catastrophe dans une société américaine confrontée à une fracture sociale historique, car « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements [cf. Lochak, 2002]. »

Néanmoins, si comme l’a cru et l’a affirmé la Cour (le sommet du pouvoir judiciaire aux États-Unis) dans l’arrêt de Plessy de 1986, « le droit est impuissant à éradiquer les instincts raciaux et à abolir les distinctions fondées sur des différences physiques » [cf. Du Bois, 2007], et si, comme l’a reconnu Barack Obama- dans son discours sur la question raciale, le 24 mars 2008-, la ségrégation à l’école a produit et produit encore des écoles inférieures et que la qualité inférieure que dispensent ces écoles aide à expliquer les écarts de réussite entre les étudiants Blancs et Noirs [Mastor, 2015], la révolution pacifique comme solution alternative pourrait s’imposer. Dans cette conjoncture, nous devons, par tous les moyens civilisés et non-violents possibles, lutter pour les droits que le monde accorde aux hommes, pour paraphraser Martin Luther King [1964].

Néanmoins, si comme l’a cru et l’a affirmé la Cour (le sommet du pouvoir judiciaire aux États-Unis) dans l’arrêt de Plessy de 1986, « le droit est impuissant à éradiquer les instincts raciaux et à abolir les distinctions fondées sur des différences physiques » [cf. Du Bois, 2007], et si, comme l’a reconnu Barack Obama- dans son discours sur la question raciale, le 24 mars 2008-, la ségrégation à l’école a produit et produit encore des écoles inférieures et que la qualité inférieure que dispensent ces écoles aide à expliquer les écarts de réussite entre les étudiants Blancs et Noirs [Mastor, 2015], la révolution pacifique comme solution alternative pourrait s’imposer. Dans cette conjoncture, nous devons, par tous les moyens civilisés et non-violents possibles, lutter pour les droits que le monde accorde aux hommes, pour paraphraser Martin Luther King [1964].

Image de couverture:

  • Créateur : Omer Messinger/Sipa USA/SIPA | Crédits : Omer Messinger/Sipa USA/SIPA
  • Droits d’auteur : Omer Messinger

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