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Les Résidences Bois de Bry accueillent Marc Sony Ricot

Dans un communiqué de presse dont Palmes Magazine a eu copie, les résidences Bois de Bry annoncent qu’ils accueillent du 16 avril au 12 mai 2023, le jeune chroniqueur et journaliste Marc Sony Ricot pour une résidence d’écriture à Dubédu au nord’est de la ville des Gonaïves.

 « Cette résidence sera l’occasion pour le chroniqueur de mettre à exécution son projet d’écriture et de nourrir son œuvre dans le calme inspirationnel et le cadre unique qu’offre ce havre de paix », lit-on dans le communiqué. Durant cette résidence, le présentateur de « Des fous et des dieux » animera des ateliers d’écriture pour des jeunes de la communauté et des environs de Labranle. Marc Sony Ricot est originaire de la Cité de Jacques Stephen Alexis. Il collabore depuis plusieurs années avec le quotidien Le Nouvelliste. En 2021, il a été le deuxième lauréat de Concours National de Reportage, organisé par le Réseau haïtien du journalistes en Santé (RHJS). Bibliothécaire, actuellement il travaille à titre bénévole et à temps plein, au Centre Pen Haïti, une association d’écrivains et de journalistes. Fougueux, passionné de la culture et du jazz, il est aussi responsable de communication du festival « Livres au féminin ».

Suite au communiqué des Résidences Bois de Bry, nous sommes allés à sa rencontre. Il nous parle de littérature, de sa rencontre avec l’écriture et sa passion pour le journalisme. Interview. 

Palmes Magazine : Vous serez aux résidences Bois de Bry pendant un mois.  Avec quel sentiment vous avez reçu cette nouvelle ?

Marc Sony Ricot: En Haïti le temps est sombre, notre vie aussi. Mon cœur s’est serré de douleur chaque fois que j’ouvre le haut-parleur de la radio. Nous vivons avec l’inquiétude dans nos regards. Ma mère me téléphone toute la sainte journée pour me demander si je suis à l’abri des balles. Nul, ici, n’est à l’abris des balles perdues. Malgré le contexte, il y a des institutions qui ouvrent leurs portes aux écrivains et aux journalistes du pays pour créer. Il y a la résidence du Centre Pen qui fonctionne et maintenant Bois de Bry que l’écrivain Raoul Altidor gère ouvrent à nouveau ses portes. Il y a un peu d’espoir. Victor Hugo et tant d’autres en témoignent, la littérature a toujours tenu les rangs dans les périodes compliquées. 

Je m’en irai aux Gonaïves avec un sentiment de satisfaction et d’amertume en même temps. Satisfaction de retrouver avec joie les responsables de la résidence qui m’attendent à bras ouvert. Comment ne pas y aller avec enthousiasme ? Je me vois déjà dans leur petite bibliothèque bien garnie, leur terrain de jeux, et ce cadre agréable pour écrire. Et la rumeur de la ville de mon enfance n’est pas loin. La thématique “ville” m’a toujours fascinée. Je ne sais pas si cela a quelque chose à voir avec mes lectures régulières de l’écrivain américain Paul Auster. La ville de New York est au centre de ses livres. 

Je m’en irai avec un sentiment d’amertume aussi parce qu’on va payer six mille gourdes pour un aller-retour Port-au-Prince-Gonaïves. Je passerais huit heures en route. Il y a trois ans, cela n’aurait coûté que mille cinq cents gourdes avec en prime une agréable conversation de trois, quatre heures entre passagers… 

Qu’est-ce-qui vous a amené à l’écriture ? 

Les histoires de ma mère et mon métier de journaliste m’ont amené à l’écriture. Dans son discours de Prix de Nobel de littérature, Gabriel Garcia Marquez a salué sa grand-mère à qui il a dédié le prix parce que les histoires de sa grand-mère ont nourri son imaginaire. Dans mon enfance, aux Gonaïves, ma mère nous racontait beaucoup d’histoires à mes deux frères et à moi. Des légendes, des contes avec des personnages remarquables. Il n’y avait ni télévision ni électricité à la maison. Nous habitions le quartier de Parc-Vincent, dans une petite impasse rutilante de soleil. À la tombée de la nuit, elle nous traçait le destin de ses personnages. Elle racontait leurs pérégrinations et leurs histoires intimes. Quand elle avait épuisé son répertoire, elle en inventait. Presque dans la même veine du premier conte du recueil « Douze contes vagabonds » de Gabriel Garcia Marquez. 

Parfois quand je raconte une histoire à mon ami écrivain Carl Pierrecq il pense que j’ai lu ça dans un roman latino-américain pourtant c’est ma mère qui me l’a racontée. J’ai toujours voulu raconter les histoires de ma mère et celles que j’ai vécues dans la ville. 

Je dis que le journalisme m’amène à l’écriture aussi parce que je me suis en grande partie intéressé à littérature grâce à mon métier de journaliste culturel que j’exerce depuis 5 ans à Port-au-Prince. J’écris surtout le dimanche. Quand il n’y a plus la pression du journal (je travaille pour un quotidien, le plus ancien de la Caraïbe). J’écris des bouts de phrases ça et là. Des poèmes d’amour. Des lettres imaginaires, des chroniques. À dire vrai, je ne sais pas ce qui m’a amené à l’écriture. Peut-être pour briser le silence, tendre ma main d’enfant à l’humanité. Parfois, je crains d’être pris pour un écrivain. L’écrivain vit dans une certaine angoisse. La peur est essentielle pour écrire. Si on ne l’éprouve pas, on ne peut pas écrire. Cela fait plus de trois ans que je commence un roman sur une partie de mon enfance au Cap-Haïtien. Mais je ne peux pas continuer. Il y a un personnage qui souffre trop. Et je souffre avec lui. Mais peut-être que j’écris pour faire la fête avec les mots malgré l’angoisse. L’écriture est pour moi un moyen de m’évader. De me surpasser. 

D’où vient cette passion pour la littérature ? 

Je pense que c’est à cause de la sensibilité. J’éprouve tellement d’émotions dans les pages que je feuillette jour et nuit. La littérature c’est aussi un voyage intime au pays des rêves. Elle offre d’immenses possibilités de rencontre. Quand on lit, on vit. On fait des expériences. J’aime la littérature, elle me permet de faire entrer la rumeur du monde dans ma chambre. Pour revenir à ce que je disais au début, s’il y a une chose que j’aime par-dessus tout dans les romans ou les poèmes c’est la sensibilité, l’émotion qu’ils dégagent. C’est le style aussi. C’est le romancier Le Clézio qui l’a dit dans une interview au Magazine LIRE : « Un écrivain c’est avant tout un styliste». Le lecteur doit dès la première phrase faire face à son style. C’est pourquoi j’aime tant Nazim Hikmet, Pablo Neruda, Romain Gary, Jessica Nazaire, Gustave Flaubert, Evains Weche, Yanick Lahens, Pesoa, Djevens Franssaint,  Paul Auster, Luis Bernard Henry, Kettly Mars, Adlyne Bonhomme, Guy Bélizaire, Georges Anglade et tant d’autres. Ce sont des styles. Quand on lit une poésie de Nazim Hikmet on a l’impression qu’elle a été écrite sur un morceau de son âme. 

« Je regarde la nuit à travers les barreaux
et malgré tous ces murs qui pèsent sur ma poitrine,
Mon cœur bat avec l’étoile la plus lointaine. 

(Extrait de Il neige dans la nuit et autres poèmes, éditions Gallimard, 2002, page 89)

 

J’aime aussi l’œuvre de Boris Pasternak, surtout sa poésie. Il y a des livres qui me donnent une autre vision de la vie. « La promesse de l’aube » de Romain Gary, « L’amour au temps du choléra » de tonton Marquez, « Les raisins de la colère » de Steinbeck, « L’étranger » d’Albert Camus, « Madame Bovary » de Flaubert, « Tours et détours de la vilaine fille » de Mario Vargas Llossa et tant d’autres. Cela fait d’une semaine que j’ai fermé « Le tunel » d’Ernesto Sabato. Je l’ai lu dans ma chambre déserte à Delmas 60. Après cette lecture, j’ai pleuré comme un gamin. C’est un roman sur la solitude, le pessimisme et l’angoisse. L’angoisse d’exister. C’est cela la force de la littérature. Elle nous donne de l’empathie. J’aime aussi cet art parce qu’il nous garde vivant. Les livres comblent ma solitude, mais aussi ils m’évitent de sombrer dans la folie en m’aidant à mieux saisir le réel. 

Pourquoi avez-vous choisi la chronique comme genre de prédilection ?

C’est sous l’influence de Dany. Quand j’habitais à Cité Soleil dans le quartier de Sarthe 45 je lisais Dany Laferrière du matin jusqu’au soir. Ma mère m’apportait du café brulant et le vent tournait la page de mon livre. J’étais jeune et amoureux. Je lisais avec avidité. Ma mère m’apportait aussi des plats succulents pour me recharger. (Pour ma mère la lecture est un sport. Il faut manger quand on lit.

À cette époque si quelqu’un mentionnait le nom de Dany Laferrière, je dirais avec fierté qu’il mentionnait le nom d’un ami. Ses phrases m’habitaient. J’étais fasciné par la façon dont il raconte les histoires. Son sens de l’humour. Sa grande culture. 

Je lisais beaucoup Dany avec Jean-Michel Guenassia et son ami Alain Mabanckou. J’adorais les chroniques de « Les années 80 dans ma vielle Ford ». C’est un livre qui m’émeut toujours. J’admirais beaucoup plus « L’art presque perdu de ne rien faire ». Déjà le titre ! Mon ami Jean Cajou me faisait lire ce livre à haute voix. Comme pour laisser les mots pénétrer en moi comme un rayon de soleil. 

La chronique est un genre très concis. Il exige d’aller à l’essentiel tout en racontant la vérité. On connaît cette formule de La Bruyère « s’il pleut dites qu’il pleut ». Il faut faire comme mon ami photographe Lesly Dorcin qui capte une personne parmi les milliers qu’il a vu dans l’écran de sa caméra. Mon premier texte au Nouvelliste est une chronique. Même mes reportages ont l’allure de chroniques (rires). Il y a plus de liberté dans la chronique. C’est vivant. Ça se passe autour de nous. Un chroniqueur doit observer la rue, pas son nombril. Et puis tout est sujet à chronique. Un rendez-vous d’amour manqué. Une anecdote, une soirée entre potes, une lecture éblouissante. 


Propos recueillis par Marie Wouzlène Vilius 

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