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Opinion/N’attendez pas la mort, surtout quand elle a ses assassins…

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Ce lundi soir, la lune ne portait plus sa robe de nuit mais plutôt celle d’un auteur de deuil. Elle était sanglante dans son corps. Et la nuit voilée d’une grande épaisseur d’encre. Il faisait un peu très sombre. Le ciel se vida à peine de sa pluie jusqu’à la dernière goutte comme pour faire son adieu. Et, le pétrichor, un cri d’alarme aigu, s’étendit à la lisière de l’horizon. Un, deux, allant vers cinq appels absents. C’était ma petite copine. Qui sait pourquoi elle insistait autant ! D’habitude, il n’y a pas plus que deux appels absents, puis un texto. Un peu très inquiet, car il était un peu tard. 23h15mn. J’allais la rappeler, quand, soudainement, je vis rallumer mon téléphone, ce n’était pas un appel cette fois. Un texto.

– J’en peux plus. Seul Dieu peut nous épargner de cet enfer. On vient nous massacrer tous dans la zone.

– Quoi!

– Oui chéri, C’est la guerre entre les deux groupes de gang antagonistes du quartier. Ils s’entre-tuent avec rage. On ignore qui est derrière tout ça cette fois. J’ai vraiment peur, je sens la mort derrière ma porte. Je peux plus vivre ici, je veux laisser le pays à tout prix.

– Tiens bon mon amour je vais appeler un taxi pour venir te chercher.

– Non! Non! Ce serait du suicide bae.

– Alors, essaie de trouver un abri pour te protéger cette nuit.

– Trop tard. Il n’y a plus d’endroit possible pour se réfugier. Ne me téléphone pas, je t’en supplie, ils arrivent à deux pas de chez moi, je les entends parler dehors. Je t’aime d’un amour éminent. N’oublie jamais.

Ce fut la plus courte et la plus terrible conversation qu’on ait jamais eue. Ça devrait être sa dernière parole avant de partir. Son dernier mot d’amour. Le lendemain, après le lendemain, encore après . Plus de ses  nouvelles  ni de la zone.Son téléphone était mort depuis, avec elle aussi. Peut-être. On n’en parle pas beaucoup dans les médias. Pas d’enquêtes non plus du côté du pouvoir judiciaire. J’avais complètement perdu la boussole. Mais, peu de temps plus tard. Soit six jours.  Ce samedi matin-là,  j’ai reçu un appel d’un numéro anonyme. Mais lorsque la voix m’appela par mon prenom d’un sec,  j’ai rapidement reconnu sa voix.  Ma petite copine. Moi qui avais pensé qu’elle n’etait plus de ce bas-monde. Envahi par l’enthousiasme  le plus aigu,  mon coeur battait au rythme trépidant comme un tambour transcendant d’une bande de marcheurs de nuits (bann chanpwèl), et là jaillissait la source de mes larmes. Ce fut,enverité, pour la première fois de ma vie que j’ai pleuré non parce qu’un proche a été criblé par balles, mais parce que je ressentais une immense joie à l’interieur. Même pas un mot ne pouvait sortir de ma bouche, malgré elle n’arrêtait pas de me dire qu’elle était bien vivante. Et puisqu’elle ne pouvait pas rester plus longtemps, elle m’a simplement demandé de la rejoindre sur la place des artites dans notre coin habituel. Explique un jeune homme qui croyait morte sa copine puisqu’il n’avait pas pris ses nouvelles, pendant six jours, qui habite à Bel-Air depuis la nuit de la tuerie qu’y avait eu lieu dans la nuit du lundi 31 Aout 2020, mais qui heureusement était saine et sauve.

Ainsi, de pareils évènements et même bien pires caractérisent la réalité quotidienne de la « grande majeure » partie de la population haïtienne depuis une décennie. Une insécurité alarmante particulièrement celle du social atteint son point culminant. Hier, encore aujourd’hui et demain, les gangs armés (comme on les appelle dans certains médias nèg kap fè sosyal) sèment la terreur. Dans les stations, les rues, les ghettos et même dans nos boites étatiques. Ils sont tellement partout et à tous les niveaux, qu’une phobie à nul autre pareil hante ce pays au dernier point de sa géographie. On en a peur de tout : de se faire voler, kidnapper, massacrer. Et même d’oser dire assez. De dire non! L’assassinat tient sa légitime défense.

Aujourd’hui, il n’y a pas assez de fanfares pour cantonner autant de deuils inattendus; pas assez de places dans les sépulcres pour autant de corps inhabités, bien que plusieurs d’entre eux ne souhaiteraient pas partir si tôt.

Comme qui dirait « La machine exterminatrice », Fort-dimanche, ne demeure plus là où elle habitait autrefois, elle n’a point de toit. Elle gagne les rues. Du coup, on ne fait que de marcher dans des rues ensanglantées. Personne ne semble à l’abri. Quiconque que vous soyez : professionnel, commerçant, intellectuel, etc. Ici même, le mot « Avenir » change d’interface. Il se résume à l’espérance de pouvoir rentrer chez soi pour un autre soleil demain (un autre avenir), si la nuit ne vous a pas emportés avant l’aube. Nous devenons « Tous » des sujets marginalisés.

La vie est totalement vandalisée, puisque, de l’avis de certains, c’est plus que révoltant. Et puisque nous fûmes autrefois le produit de la révolution anti-esclavagiste, anticolonialiste et anti-macoutiste, nous devons sortir de la fascination historique pour agir conséquemment. Du fait face à cette situation inhumaine (invivable) fabriquée par l’État haïtien et le poids de la main d’ombre des grandes puissances étrangères (l’Amérique du Nord et autres) qui gangrène le pays, nombre d’interrogations s’imposent dans la vie courante. Et, ces dernières consistent à savoir quelle perspective adopter en vue de chercher à inventer une issue possible, comme on a inventé une fois la vie sous le règne colonial et sous celui dictatorial, si bien qu’aujourd’hui la lutte est celle qui s’obstine au déracinement de ce système néocolonialiste pourri. Ce qui peut se voir comme un dernier recours; une dernière page à remplir; un dernier électron sur la dernière couche de la pensée de tous et de chacun. Qu’est-ce qui retient encore le palais national pour qu’on ne marche pas déjà sur ses cendres ou celles de cette ville, Port-au-Prince ? Capitale de nos amertumes ? Ainsi que le reste. Serait-ce la puissance de ces oppresseurs gouvernementaux ou la passivité de ce peuple qui ignore toujours le pouvoir de la majorité ?

Mais, cela suffirait-il de procéder à cette même pratique ancienne pour qu’on finisse avec ce système ? Est-ce que celle-ci, de préférence, ne contribuerait-elle pas à le fortifier ? Si, par la suite, pendant qu’on va jouer aux gagnants, d’autres acteurs politico-économiques ou les mêmes vont naitre ou renaitre pour maintenir et amplifier le même schéma de ce dernier ? Dès lors, la lutte contre ledit système dont nous parlons aujourd’hui ne devrait-elle pas épouser également l’idée de procéder à un vrai projet sociétal – dans lequel on envisagerait d’organiser une nouvelle structure politique, une nouvelle structure économique, une nouvelle structure sociale et culturelle-? De plus, ne devrait-elle pas être celle qui attribuerait à l’État une morale (d’anti-corruption, d’anti-domination), une autre philosophie et lui permettrait de se distancier de la bourgeoisie ? Aussi, ne devrait-elle pas être celle qui nous ramènerait à renforcer la souveraineté nationale face au « Grand Aigle » impérialiste et  autres ? Celle qui animerait notre conscience pour qu’enfin nos choix cessent d’être guidés par le fanatisme ou par la partisannerie surtout aux élections ? Rappelons-nous  tant de fois que nous avions rejeté des esprits brillants de l’intelligentsia haïtienne pour des amateurs politiques, – pour ainsi reprendre les propos de L. Manigat,”il y a une lutte constante contre l’intelligence dans le pays”, l’échiquier politique semble pas épargner-, à titre d’illustration, Antenor Firmin (1902), Dr Leslie Manigat (2006), Dr Sauveur Pierre Etienne (2015)!

Autant que l’on sache, nous sommes tous bien Morts socialement dans ce pays. Oui Tous! Mais faut-il rester dans son coin les bras croisés à attendre ses derniers instants ? ASSASSINATS. Si on se les rappelle, les Dominique J.L., les Brignol L, plus récemment, les Dorval M, entre autres, eux qui luttaient pour le droit à une meilleure condition de vie. Par ailleurs, la mort n’atteint pas toujours la vie de ceux qui savent se battre. Tant d’âmes immortelles confirment cette assertion : celle de Gandhi, de Castro F et de Jean Baptiste Vixama etc., ce furent des hommes qui avaient compris que la lutte pour le respect du droit à la vie (le premier droit sacré de l’Être) ne dépendait pas de la génération à venir, mais de la leur et qu’il ne faut pas toujours compter sur les sacrifices des dieux, mais sur ceux des hommes (Manuel, Gouverneurs de la Rosée). Même si pour ce faire, ça peut coûter la vie, – elle qui n’a pas de prix, paradoxalement ne coûte pas moins cher ici-. Et tant pis pour la vie.  Agissons maintenant ou jamais ! N’ATTENDEZ PAS LA MORT, SURTOUT QUAND IL EXISTE DES ASSASSINS LEGITIMES ET SES BANDITS LEGAUX.

 

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