Palmes Magazine
Le portail de la région des palmes

Port-au-Prince, la ville des barricades

Dans plusieurs quartiers de Port-au-Prince, des barricades sont dressées partout.

Selon le sociologue Kesler Bien-Aimé, c’est un phénomène qui affecte grandement la vie sociale des citoyens. 

Vendredi 15 septembre. Onze heures du matin. Nous tentons de nous rendre à Solino, l’un des nombreux bidonvilles de la capitale haïtienne. Habituellement, à cette heure, ce quartier populaire serait bondé de gens. Mais les attaques répétées des groupes armés qui veulent à tout prix l’accaparer ont paralysé toutes les activités dans la zone. Quand les malfrats sont à l’oeuvre, ils tuent, pillent et incendient des maisons. Ce qui a poussé beaucoup de résidents de Solino, comme beaucoup d’autres quartiers, à fuir.

À Solino, le décor est sombre, semblable à une scène de guerre. Nous empruntons la rue Sylvia où une voiture, camouflée à l’aide de branches d’arbres, est mise en travers de la route. Et à chaque côté, d’énormes sacs remplis de graviers. Un peu plus loin, une autre barricade se dresse. Impossible pour les véhicules de transport en commun de circuler sur cette voie qui sert de raccourci aux conducteurs en cas d’embouteillages à Nazon. Ils ont été contraints de modifier leur itinéraire, car toutes les voies sont barricadées de jour comme de nuit. Yvanne*, une jeune professionnelle qui emprunte régulièrement cette voie, vit très mal cette situation puisqu’elle doit débourser plus d’argent dans les transports pour aller travailler.

Une mesure préventive

Pour beaucoup de citoyens, cette nouvelle méthode est efficace pour se protéger des gangs. Cependant, ils en voient une preuve de plus de la passivité de l’État. « Je vis à Delmas 24. Nous avons déjà eu à repousser des groupes armés. Cela a été difficile, mais nous l’avons fait. On ne veut prendre aucun risque, c’est pour ça que nous avons placé des barricades. C’est à nous de nous protéger, car l’État ne prend jamais les choses en main », explique Lyson. Pour freiner les envahisseurs, ils se servent de sacs remplis de gravats et de pierres, des voitures endommagées.

À Canapé-Vert, la situation n’est pas différente, mais les résidents de la zone enlèvent les barricades durant la journée pour permettre aux gens et aux automobilistes de circuler. À la tombée de la nuit, elles reprennent place. « C’est pour limiter les risques. Il est recommandé aux gens qui habitent la zone d’éviter de rentrer à des heures tardives », déclare un résident.

Une barricade érigée sur la route de Canapé-Vert

Dresser des barricades pour se protéger d’éventuelles attaques n’est pas un nouveau phénomène. Il s’est intensifié après 1986, à la chute du régime dictatorial des Duvalier. C’est un moyen de s’exprimer. Une façon de faire passer ses revendications qui, peu à peu, s’est transformée en une forme de protestation parfois violente, explique le sociologue Kesler Bien-Aimé.

Le prix à payer

Face à l’incapacité des autorités compétentes de mettre les bandits hors d’état de nuire, cette forme de mobilisation, rassure les résidents des zones qui sont dans le viseur des gangs. Mais cela a aussi des conséquences néfastes. Elle affecte grandement la vie sociale des gens, souligne le sociologue.

« Elle tue la vie nocturne à Port-au-Prince. J’avais l’habitude de sortir tard le soir au cours des mois précédents, mais depuis les récentes attaques, je ne sors plus. Je suis obligé de m’identifier quand je dois me rendre dans un quartier dans lequel les gens ne me connaissent pas. Sortir n’est plus aussi amusant qu’avant », raconte Didier, un étudiant de l’Université d’État d’Haïti. Dès que la nuit approche, beaucoup de rues de Port-au-Prince sont désertes.

Que faire ?

Si pendant un certain temps l’érection des barricades dans certains quartiers ont pu garder les groupes armés à distance, force est de constater que cette pratique n’a pas porté fruits à Carrefour-Feuilles. En dépit de la résistance des résidents, des bandits armés de Gran Ravin ont fini par s’installer dans la zone. Ce qui est preuve d’un relâchement des autorités locales en ce qui concerne la situation sécuritaire du pays, pense le professeur Hansy Pierre. 

« Il revient aux collectivités locales à travers les mairies et les CASECs de faire montre de leadership et de créativité afin d’établir un climat de confiance, de sécurité et de protection des citoyens », suggère l’ancien coordonnateur de la Faculté des sciences humaines. 

En attendant des mesures concrètes des autorités étatiques pour rétablir la sécurité, la capitale haïtienne et ses zones environnantes sont barricadées partout. 

*Les prénoms ont été modifiés

Ailleurs sur le web

Obtenez des mises à jour en temps réel directement sur votre appareil, abonnez-vous maintenant.

commentaires
Loading...