Depuis que j’ai reçu le recueil « Quarante et un » de Sara Oudin, il y a quelques mois – merci à Bruno Guattari, mon éditeur, je brûlais tout de suite d’une belle fièvre de réaliser cet entretien avec l’auteure dont la main, confie-t-elle, était conduite à la pâte de la langue poétique par l’entremise du poète James Noël.
Ce ne sont peut-être pas celles qui ont empêché Borges de voir l’Irlande profonde, mais quelques ombres l’avaient un peu fait traîner.
Le voici, enfin pour le bonheur des férus de la littérature et de la poésie, principalement.
- Sara Oudin, pouvez-vous parler un peu de vous-même ?
S.O- Je parle pour ne pas écrire. J’écris pour ne pas parler 😉
- A quel moment êtes-vous arrivée à la poésie ? Quel a été le déclencheur ?
S.O- Je ne suis pas allée à la poésie, c’est la poésie qui est venue à moi il y a quelques années. En la personne de James Noël, qui créait sa revue Intranqu’illités. Il m’a demandé si j’écrivais. Je me suis assise un matin devant ma fenêtre et moi qui n’avais jamais écrit de poèmes, pas même à quinze ans, j’ai pensé à mon tout premier séjour en Haïti et à ce voyage en avion où je m’étais trouvée par hasard placée à côté d’une femme fascinante, qui s’est présentée comme “grande prêtresse vaudou”. Jamais revue par la suite. Mais elle avait déclenché en moi, au-delà de mon intérêt pour l’île, quelque chose de très mystérieux. Les mots sont venus par la suite et James a publié mon premier poème dans le premier numéro d’Intranqu’illités :
« M’écorcher l’âme et le cœur
Chasser les ânes et les chiens du chemin
Enterrer en riant
Les éclats du miroir les rimes et les os
Serrer les dents
Pousser ma pierre au plus haut
Hurler ma joie pour faire taire le silence
M’agenouiller au pied du temple du temps.
Me réveiller enfin au seuil de la mort. »
S.O. le 28 janvier 2015
J’ai traversé ensuite une longue période de latence. En fait j’ai quitté Paris pour m’installer en Bretagne, dans une sorte “d’ile au milieu des terres”. Il m’a fallu réapprivoiser la nature, qui est devenue au fil des années ma principale source d’inspiration.
- Je vous suis sur les réseaux depuis peu, que déjà je vous sens brulée comme ça d’une grande fièvre pour la poésie. Vous l’écrivez vous-même, vous reprenez celle des autres à travers des fragments, presque toujours. Est-ce une façon de la faire vivre et de lui souffler dans les narines?
S.O- J’écris pourtant sans fièvre. Pour moi, c’est une sorte de rituel, de méditation. J’écris donc tous les matins.
Vous me faites remarquer que je reprends souvent la poésie des autres. A la vérité, je ne lis pratiquement plus, sauf quelques essais et textes philosophiques. Je croyais tout avoir oublié et m’être complètement libérée des “modèles”. Mais sans doute ma mémoire se promène-t-elle encore dans les pages que j’ai aimées…
« J’écris au petit jour
paupières encore froissées
les yeux en-dedans
les jambes en repli
j’écris dans l’affluence
des odeurs de mon corps
j’écris dans le désordre
des scories de la nuit »
S.O. le 18 mai 2018
- C’est toujours difficile de parler de ce qu’on fait. Vous me l’aviez dit d’ailleurs vous-même au moment de vous proposer cet entretien. Mais je l’ose quand même, la question : quels éléments nourrissent votre création poétique ?
S.O- Mon amour pour la langue et mon goût du partage. Professionnellement, j’ai un parcours assez atypique. J’ai été conseil en communication et traductrice. Puis cuisinière. J’ai aussi écrit et adapté des pièces de théâtre et des scénarios de film. Enfin, j’ai accompagné de jeunes auteurs en vue la publication de leurs manuscrits. En fait, j’écris depuis toujours. Mais la forme poétique est une découverte tardive. Et inattendue.
“C’est dans l’écart que surgit l’inouï et qu’il devient enfin prononçable”.
La poésie est ce langage qui naît de l’écart.”
- Quel regard portez-vous sur la place qu’on accorde à la poésie aujourd’hui ?
S.O- Un regard triste. Pas de malentendu. Ce qui m’attriste, ce n’est pas la poésie d’aujourd’hui, finalement omniprésente sous des formes multiples. Mais c’est le peu d’espace qu’on lui accorde dans une société articulée par le profit. Je veux croire que les choses peuvent changer, c’est ce qui explique mon soutien à Bruno Guattari, tout nouvel éditeur de poésie.
- « Quarante et un » est le titre d’un recueil que vous éditent les éditions Bruno Guattari. Je crois votre tout premier. Comment était la réception de l’œuvre ?
S.O- Comme vous le savez, c’est un tirage “confidentiel”. Les retours ont donc été tout aussi “confidentiels”. Le projet était surtout de constituer un catalogue pour assurer la pérennité d’un édifice qui commence à ressembler à une œuvre. Depuis 2015, j’ai écrit près de 1200 poèmes, dont certains partagés sur FB. Et j’espère que d’autres recueils suivront.
- La poésie est-elle votre seul lieu d’expression littéraire. Sinon, dans quels autres genres littéraires exprimez-vous ?
S.O- Je crois avoir répondu plus haut à cette question.
Une précision: la cuisine est pour moi une forme d’expression hautement poétique.
Pour conclure :
« J’aimerais, dorénavant
écrire des poèmes
qui ne veulent rien
dire
des mots désemparés
des phrases disloquées
torrents d’amour fracassés
contre la langue
écrire contre la langue
mais le sens s’acharne
et me poursuit
j’écris :
Dieu n’a qu’une main
et sa main n’a qu’un doigt
j’écris :
un mur aveugle me regarde
je vois à travers lui
une femme
une flamme qui court dans le champs de maïs
les grillons se sont tus
j’écris :
liane-réglisse sur les pentes du volcan
poison violent qui guérit
la lave n’atteindra pas la mer
j’écris :
un cri dans les roseaux
un enfant a oublié de naître
l’ibis s’est envolé
le chamane se penche sur l’eau noire du delta »