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Qui protège les prostituées en Haïti ?

Des femmes évoluant dans le milieu de la prostitution témoignent de leur calvaire face aux différentes formes de violences dont elles sont victimes. N’ayant personne pour les écouter, aucune instance disponible pour les soutenir, elle sont abandonnées à leur sort. 

Depuis 2015, Bibiane Lavertue* fait de la prostitution. Cependant, elle fait face à de différentes formes de violence dans le milieu. Parfois, certains de ses clients entrent en rapport sexuel avec elle et refusent de payer. «  Gen de nèg pase pou yo peye w, yo pito bat ou »,  confie la jeune femme.

D’autres lui lancent des injures ignobles ayant rapport avec son sexe et sa vie privée, ce qui n’a pas toujours plu à la dame. Elle pense qu’elle mérite du respect en dépit de tout , parce qu’elle offre un « service » même si elle est, selon elle, « récompensée » en retour. 

À deux reprises, *elle s’est fait* voler par des clients. Elle se rappelle, une fois, elle devait passer la nuit dans un hôtel avec un homme. Le lendemain, l’homme s’est enfui et a emporté son sac avec tout ce qu’il contenait y compris son portefeuille. « Il m’a tout pris et m’a abandonné à l’hôtel », se souvient-elle.

Comme Bibiane, beaucoup d’autres femmes qui pratiquent la prostitution sont victimes de toute sorte de violence en rapport avec leur sexe et leur activité. Il n’existe pas de chiffres exacts à ce sujet, mais la pratique existe bel et bien. 

Rosane Pierre, une femme qui fait le trottoir à la rue Capois pour sa part, avoue que certains clients ont l’habitude de l’emmener hors de son lieu d’activité. Ces derniers exigent d’elle des positions sexuelles qu’ils n’ont pas négociés à l’avance et refusent ensuite de payer. Mais elle n’ose pas répliquer pour ne pas se faire tabasser. «  Quand j’essaie de me défendre , certains me tiennent au cou et me menacent, d’autres m’injurient en me traitant de « vye bouzen sal » avant de m’envoyer balader, déclare -t-elle.

Quant à Naïka Dumas, la situation n’est pas différente, depuis 2018 qu’elle exerce le métier, elle ne se rappelle pas un jour où elle n’a pas rencontré un client désagréable.  En plus de l’injurier, ils ont l’habitude de passer plus de temps qu’ils ne l’ont négocié, et quand elle tient tête, ils la frappent. Certains osent la forcer à avoir des relations sexuelles même si elle n’est pas consentante. « Je me vois obligée d’accepter, parce que parfois ils sont armés, je ne peux rien faire sans risquer de perdre ma vie », déclare la jeune femme avec dégout. 

« Il y avait un homme parmi mes clients qui venait toujours et me choisissait à chaque fois. J’ai essayé de lui refuser un jour,  il m’a frappé  avec de grands coups-de-poing. Il se comportait avec moi comme si je lui appartenais, je devais faire tout ce qu’il désire »  se souvient Myriam , une prostituée de la rue Capois. Elle se laisse toujours faire sans pouvoir lever le petit doigt, au risque de laisser sa peau. 

Pour Jonna charles, une prostituée de la rue Oswald Durand, l’expérience semble tout à fait l’opposé avec ses clients. Depuis 2012 qu’elle exerce dans le milieu, elle avoue n’avoir jamais été frappée par ses clients, mais en revanche elle fait l’objet de violences verbales. 

La prostitution, est toute pratique sexuelle contre rémunération, c’est pourquoi certains la conçoivent comme un métier. En Haïti, les femmes qui exercent cette pratique sont souvent victimes de toutes formes de violences, sous le regard insouciant des autorités et de la société. 

Une activité à suspendre

Selon la sociologue et féministe Kenise Phanord, deux principales réflexions tournent autour de la prostitution en Haïti au niveau des adeptes du féminisme. La première considère la prostitution comme une activité à éradiquer, au sens où elle est liée à des formes de dépendances économiques et des formes de précarités extrêmes. La logique, c’est de pouvoir aider ces personnes à se libérer de cette forme de domination et s’orienter vers d’autres activités. 

La seconde réflexion respecte l’autodétermination de la personne en la laissant le plein droit de décider sur son corps. L’essentiel, c’est de les aider à améliorer leur qualité de vie précaire sans changer d’activité pour autant. 

La sociologue, quant à elle, se positionne du côté de la première réflexion en soutenant que la prostitution est une forme de domination de genre. Selon la militante féministe, il s’agit d’une grande manipulation de l’autre sexe sur une catégorie vulnérabilisée. En effet le choix de se prostituer n’est pas, en Haïti , un choix délibéré, il est toujours conditionné par une situation de grande précarité. 

« J’’étais obligée de me prostituer parce qu’après la mort de ma mère , je vivais mal, je n’avais personne pour m’aider à subvenir à mes besoins, je sais qu’en Haïti, les gens avec des diplômes ne travaillent pas et moi qui n’ai fait que la rhéto? », s’interroge Bibiane Lavertue. 

Dans le cas de Myriam, après avoir laissé la campagne où elle avait grandi, une fois à Port-au-Prince, n’ayant personne pour l’aider avec ses dépenses, elle s’est vue obligée de suivre son amie qui lui a proposé de lui emmener. Tout comme Naïka Dumas, elle ne prend pas plaisir dans ce qu’elle fait,  mais elle le fait pour subvenir aux besoins de sa famille. Pour d’autres, c’est à cause d’un enfant qu’elles doivent entretenir. C’est le cas de Rosane Pierre qui doit s’occuper de ses deux enfants sans leur père. 

Une pratique dans l’ombre

Bien qu’elle soit une ancienne pratique qui se fait au vu et au su de tous, la prostitution demeure sombrée dans le silence. Selon la sociologue Kénise Phanord, cette catégorie sociale est invisibilisée et n’a pas d’existence sociale. Les violations dont elle est victime restent dans l’invisibilisation. Lorsqu’elle est visible, c’est plus dans le but de la stigmatiser et la considérer comme un  déchet social, bien qu’elle procure du plaisir. 

En effet, ces femmes avouent être en situation d’incapacité à porter plainte contre les violations qu’elles subissent. Non seulement parce qu’il n’y a aucune instance spécifique qui traite de ces cas, mais aussi parce qu’elles exercent à l’insu de leur proche. À la place, elles encaissent sans protester.

Comme Bibiane qui en vient à céder au moindre caprice de ses clients, elle refuse l’idée qu’elle ait à porter plainte dans le but de ne pas créer de scandale qui pourrait éveiller les soupçons de sa famille. « Menm kan m te gen kote pou m te al pote plent m pa ta prale paske sa m ap fè a fanmi m pa konnen », avoue-t-elle.

Conséquences sur la victime

Tout comme pour les autres catégories minoritaires de la société, les conséquences de violence sont autant lourdes pour les travailleuses de sexe et peuvent tout autant laisser de grandes séquelles. 

Selon la psychologue, thérapeute EMDR (Eye movement desensibilization and reprocessing ) Angela Calixte, les conséquences suite à une violence dépendent d’un ensemble de dispositions liées soit au vécu de la personne, soit à son histoire.  Cependant, l’une des plus grandes conséquences que peuvent avoir ces violences , que ce soit physique, psychologique, verbale ou autre, sur les travailleuses de sexes, c’est la normalisation de l’acte de violence par rapport au regard désapprobateur de la société à leur égard. La victime dès lors franchit l’étape du refoulement. À ce stade deux situations peuvent êtres provoquées. D’abord, un regard objectif sur sa propre personne à cause de la diminution de son estime de soi. « Dès lors, la victime tend à se considérer comme un simple objet sexuel, dont le désireux peut s’en servir à sa guise. Elle a tendance à  offrir à  la société ce qu’elle attend d’elle, parce que toute activité qui met mal à l’aise un individu est susceptible de nuire à son estime de soi »,  précise la thérapeute. 

Dans ce cas, cette catégorie est plus susceptible à être victime non seulement à cause du regard de la société , mais également de son  propre regard sur elle-même. 

Par ailleurs, à cause de ce non-pouvoir sur son corps, la victime peut  être exposée à d’autres conséquences qui peuvent impacter sa vie globalement : une grossesse non désirée ou une maladie sexuellement transmissible à cause d’un client qui refuse de se protéger. C’est ce que témoigne Naïca. « Parfois ils veulent avoir des relations sexuelles avec moi sans préservatifs, quand je proteste, ils me giflent », raconte-t-elle. 

Ce qui n’est pas différent pour Myriam. « Une fois, un homme a voulu me prendre sans préservatif, j’ai refusé mais à cause de ses injures j’ai fini par céder »,  a confié amèrement la victime. 

Quant à Rosane, elle a eu un enfant sans le vouloir. ” Mwen te deja gen yon pitit, pandan m nan aktivite sa m vin gen yon lòt pitit »,  fait savoir la dame. La victime peut en venir également à utiliser  les mêmes armes que l’agresseur pour se défendre , à savoir la violence.  « Dèfwa medam yo konn replike tou, yo tire boutèy, oswa rale kouto », témoigne Marie.

Aucune loi  pour protéger les travailleuses de sexe

La législation haïtienne ne s’est jamais prononcée sur la prostitution en Haïti, la pratique n’est ni interdite, ni réglementée. Le nouveau code pénal  publié sous l’administration de  Moïse-Lafontant a abordé la question de la prostitution et le proxénétisme. Ce dernier se définit comme une activité où l’on contraint une personne à se prostituer ou lorsque quelqu’un tire profit de la prostitution de l’autrui. Malheureusement, ce nouveau code pénal n’est jamais entré en vigueur jusque-là. 

Il n’y pas de loi qui aborde la prostitution comme activité professionnelle. Les  prostituées ont donc peu de  protection juridique à cause de l’inexistence d’un cadre juridico-légal qui définit cette activité. 

Madame Phanord avance que des tentatives de réflexions ont été entamées à ce sujet pour appuyer les femmes prostituées à avoir une meilleure qualité de vie en ayant une meilleure visibilité sociale.  Ces tentatives n’ont abouti à rien de concret pour l’heure. « Il existait des organismes au niveau de Martissant et de Carrefour pour accompagner les prostituées, mais ils n’avaient pas réussi à réunir toutes les prostituées autour d’eux», ajoute-t-elle. 

Elle continue pour faire savoir qu’à cause de l’avalanche des catégories vulnérables dans le pays, il est difficile pour les organismes féministes d’aborder tous les sujets en rapport à la problématique des droits des  femmes. «Les organismes féministes peinent a prendre en compte la pluralité des dominations auxquelles sont en buttes les femmes en raison de leur faible ressources», affirme-t-elle.

Aussi ajoute-t-elle, après le séisme du 12 janvier 2010, le ministère à la condition féminine a tenté de travailler avec des organisations de femmes  sur ce sujet, mais il est devenu de moins en moins actif sur les thématiques concernant la pluralité des dominations dont sont victimes les femmes. 

Nécessité d’inclusion

Les organismes féministes ont laissé dans le cadre passif un sujet assez crucial. Pour l’heure il n’existe pas de travaux concret à ce sujet, seulement un début de réflexion qui, selon madame Phanord, mérite d’être approfondi pour améliorer la condition de vie de ce groupe marginalisé, surtout dans ce contexte de crise socio-économique et politique. 

La spécialiste en santé mentale, Angéla Calixte , pour sa part, pense que tout comme les autres groupes minoritaires qui sont exposés à toutes formes de violences dans la société , les prostituées ne doivent  pas être mises de côté . cette catégorie devrait avoir une attention soutenue, parce qu’elle est plus susceptible à être victime en raison de sa réalité économique et son invisibilisation.  Elle poursuit,  qu’il devrait exister des plateformes où elles peuvent être entendues et s’informer sur les Violences basées sur le genre et sur leur droit en tant qu’individu. “la véritable égalité ne sera pas possible si toutes les catégories ne sont pas incluses” affirme-t-elle. 

*Tous les noms des femmes prostituées victimes cités dans l’article sont des noms d’emprunts. Les victimes ont choisi de rester dans l’anonymat. 

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