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Ces femmes haïtiennes qui bannissent le soutien-gorge

Pour certaines femmes, ne plus porter de soutien-gorge est une façon de reprendre le pouvoir sur leur corps.

Depuis le jour où elle a porté  son premier soutien-gorge, Dieunithe Onezaire a senti que cet accessoire et elle ne feraient pas bon ménage.  Pour la jeune enseignante, c’est tout le poids du monde qu’elle a sur son dos rien qu’en portant ce bout de tissu.  C’est avec un visage illuminé qu’elle raconte son bonheur d’enlever son soutien-gorge dès qu’elle rentre chez elle. « Chez moi, dès que je suis rentrée, on se moque de moi car la première chose que je fais, c’est de me dépêcher d’enlever mon soutien-gorge », explique la jeune femme avec un morne sourire  qui laisse entrevoir sa gêne étant obligée de se couvrir les seins. 

Tout comme Dieunithe Onezaire, beaucoup d’autres jeunes femmes se trouvent dans la même situation. Au premier rang des causes :  l’inconfort. 

Pour Emilie Marcelin, blogueuse, son renoncement au soutien-gorge a commencé durant son adolescence, car, se souvient-elle, elle n’arrivait jamais à trouver un soutien-gorge adapté à ses seins. « Soit il me serrait trop et laissait des marques à chaque fois, soit il lâchait mes seins au lieu de les tenir », confie la jeune femme. Forcée par ses parents, elle s’est vu obligée de porter ce fardeau trop lourd pour son corps de jeune femme. 

Quant à Micaëlle Charles, comédienne et blogueuse, elle portait le soutien-gorge uniquement à cause des injonctions reçues de sa mère. C’est pour la jeune femme se déposséder qu’être obligée de se plier à ces contraintes imposées par la société.  Désespérée, exaspérée. Alors que sa voix intérieure l’indique d’écouter son corps, celle de sa mère résonne pour l’étouffer. Pour sortir au coin de la rue faire quelques emplettes, elle entend sa mère lui crier : « Micaëlle, tu n’imagines pas que tu vas sortir ainsi avec tes seins nus » avant d’ajouter « tu ressembles à une petite maman ». « Comme si je commettais la pire des atrocités » se désole la comédienne.

Un symbole de liberté 

Loin d’être un simple accessoire de mode, porter un soutien-gorge symbolise pour certaines femmes une forme de non pouvoir sur leur corps. Conçu pour assurer le confort féminin en remplaçant le corset, le soutien-gorge qui a été inventé en 1899 par Hermine Cadolle, une ouvrière féministe,  est devenu, une pièce incontournable pour juger d’ une femme qui fait preuve de bienséance à une autre.  Car, voir des seins nus est mal  considéré par la société et qualifié d’acte indécent. Le bien-être de la femme se heurte à l’ensemble des principes imposés par la société en rapport avec son corps. Libre, c’est le mot qui explique le sentiment de confort que procure un sein nu. C’est ce qu’explique Dieunithe Onezaire. « Je ne me suis jamais sentie plus libre que lorsqu’en rentrant je me débarrasse de mon soutien-gorge »,  confie la normalienne. 

Effectivement, c’est un acte libérateur pour une femme d’adopter un style qui lui soit propre et dans lequel elle se sent confortable sans qu’elle ait à craindre le regard des autres, pense Sondernyse Michel, avocate et experte en genre et violence basée sur le genre. Elle affirme que les jeunes filles d’aujourd’hui sont plus enclines à sortir de la norme qui leur a été imposée. Cela est dû au fait qu’elles n’ont pas reçu la même éducation que nos mères et nos grand-mères, elles ont plus de  possibilité de renoncer à un ensemble d’interdictions sociales et de réussir à s’approprier de leur pouvoir d’agir. Ce qu’elle ne nie pas être une entreprise assez malaisée que nos mères et grand-mères n’ont pas pu se permettre.

« Je suis sortie de la norme. J’ai appris à m’accepter et à m’aimer telle que je suis et cela me suffit »

En effet, ces femmes se sont dit qu’elles n’allaient plus laisser une paire de bretelles et un bout de tissu leur priver de leur confort personnel et  leur liberté en tant que femme. Au risque de passer leur vie à plaire aux autres, elles optent pour leur plaisir personnel. Cela fait déjà plus de deux ans qu’Emilie Macelin a remisé le soutien-gorge. Elle avoue se sentir se surpasser. Elle a compris combien elle pouvait s’aimer et s’admirer telle que conçue, sans aucune honte ni sentiment de culpabilité. Elle a brisé ce verre de glace dans lequel la mettait la société en admettant un idéal de beauté. « Je suis sortie de la norme. J’ai appris à m’accepter et à m’aimer telle que je suis et cela me suffit », affirme l’étudiante en Sciences politiques et en Travail social.

Quant à Micaëlle Charles,  cela fait déjà deux ans qu’elle a enlevé  le soutien-gorge pour ne plus jamais le remettre. Elle avoue n’avoir jamais compris le sens de toujours s’embarrasser avec cet accessoire. S’en débarrasser définitivement, traduit pour elle, une façon de se réapproprier son corps et se regarder telle qu’elle est en dehors du canon de beauté imposé par la société.  Elle a rapidement compris que l’idéal de beauté que prônait l’occident n’était que du vent. Que c’était encore un des stratagèmes du système patriarcal pour avoir le contrôle du corps de  la femme. Il n’y a plus sordide absurdité que d’imposer à une femme de porter un soutien- gorge sous prétexte que ses seins pendaient, pense-t-elle. Toutes les femmes ne pouvaient pas se ressembler. « Mes seins pouvaient arriver sur mes genoux, ce sont les miens, cela fait partie de ma construction physiologique et mon identité en tant que femme noire, je me dois de les accepter et les aimer »,  soutient Micaëlle Charles.

Un symbole d’affirmation

Selon Me  Sondernyse Michel, deux catégories distinctes de femmes s’identifient à la pratique du non-port du soutien-gorge. Il y a d’une part  celles  qui font ce choix inconsciemment sans l’attacher à un sens particulier, soit à la recherche de confort personnel soit parce qu’elles sont influencées par des modèles sur les réseaux sociaux, et d’autre part celles qui s’allient au mouvement No Bra (sans soutien-gorge, Ndlr) relayé sur les réseaux sociaux après la covid-19.

Le No Bra qui est un mouvement qui s’est développé aux États-Unis vers les années soixante traduit le choix volontaire des femmes de se défaire de leur soutien-gorge en revendiquant  la libération de leur corps contre l’uniformité imposée et l’hypersexualisation. 

Pour la spécialiste en genre, ce mouvement combat l’idée de voir le sein de la femme comme un simple objet destiné à satisfaire le désir masculin.

“Le No Bra, c’est voir une femme autrement qu’un bout de chair qui doit se couvrir les seins pour les entretenir après avoir pris du poids, après un accouchement ou un allaitement”

Bien que le No Bra n’ait pas la même ampleur que d’autres mouvements comme le mouvement Femen ou autre, l’avocate pense qu’ il a quand même pu  impacter la manière de voir les femmes. Elle poursuit pour faire savoir que toutes les revendications féministes peuvent ne pas avoir la même ampleur, mais toutes  se valent. Le No Bra remet en question toute une vision de la femme et  toute une manière de vivre qu’on avait jamais su regarder avant. Pour elle, ce mouvement propose de réapprendre à regarder les femmes. « C’est voir une femme autrement qu’un bout de chair qui doit se couvrir les seins pour les entretenir après avoir pris du poids, après un accouchement ou un allaitement » affirme la spécialiste en genre. 

Si au début, enlever le soutien-gorge était un simple choix de bien-être pour Emilie, ce choix devient désormais un moyen d’affirmer ses positions féministes. Elle entend faire lumière sur la pluralité de corps féminins et en finir avec les injonctions sociales. Ferme sur ses convictions, la jeune militante s’est entendu à ne plus jamais laisser à l’autre la responsabilité de décider de son bien-être, ce choix lui revient de droit et  elle entend l’assumer sans se gêner. 

Ce qui n’est pas différent pour Micaëlle Charles qui veut  lutter contre l’hypersexualisation du sein de la femme. Pour elle dissimuler le sein sous un soutien-gorge, c’est accepter  que le sein de la femme est cette zone conçue pour le plaisir masculin et que s’il est découvert cela traduit un appel à toutes formes d’agressions. En finir avec la culture du viol, sortir le téton de la femme de la zone d’intimité et le mettre aux mêmes rangs que toutes les autres parties du corps. « Le sein est un organe du corps au même titre que les autres organes, je ne nie pas le fait que le sein comporte une dimension sexuelle, parce qu’au moment de l’acte sexuel, l’accent est beaucoup mis sur cette partie du corps et du plaisir qu’elle peut procurer,  mais cela demeure que dans l’acte sexuel », fait remarquer la comédienne. 

Le regard de la société 

Emprunter une telle voie est sans conteste tourner le dos à  la société. Se balader avec des seins nus n’est en rien un aller simple vers le bonheur de se retrouver. La pression de la société pèse assez lourd. Regards pesants, commentaires déplacés, reproches, sont le lot de fardeaux à confronter pour une femme qui  ose être soi-même et se plaire. 

« Je trouve plus attirante une femme sans soutien-gorge qu’une autre qui le porte »

Emilie Macelin avoue faire l’objet d’insultes et de commentaires indélicates. « On me reproche parfois de provoquer l’excitation des hommes », regrette la jeune femme. Il y en a qui lui exposent à la figure leur envie de lui sucer les seins. Et ceux qui lui proposent de lui acheter des soutiens-gorge. Quitte à se laisser intimider, elle joue parfois leur jeu en répondant qu’elle accepte bien leur proposition. 

En pleine adolescence, soit vers ses 14 ans, Dieunithe Onezaine se souvient avoir été victime de harcèlement sexuel, quand en promenade avec ses amis ,  un homme plus mûr qu’elle lui a fait des remarques indélicates sur ses seins suivies des propositions choquantes. Cette expérience à laisser un goût amer à la jeune femme. 

Il y en a qui ont compris le sens de la liberté individuelle, qui admettent que chacun a le droit de décider sur son corps. C’est le cas de Vladimirovitch, étudiant en Travail social à la Faculté des sciences humaines( FASCH). « Le choix de porter ou ne pas porter un soutien-gorge est pour moi  et devrait être un choix personnel, il convient à la personne de savoir si cela lui plaît d’en porter ou pas. c’est très loin d’être un acte obscène », fait remarquer l’étudiant. Selon lui, une femme n’a pas à s’excuser pour se sentir libre et épanouie. 

Pour d’autres, comme Bruno, ancien étudiant de l’École normale supérieure, ne pas porter de soutien-gorge met en valeur la poitrine de la femme, d’ailleurs il avoue prendre beaucoup de plaisir dans la contemplation d’un sein nu. « Je trouve plus attirante une femme sans soutien-gorge qu’une autre qui le porte », confie le jeune normalien. Selon lui, le sein comporte une dimension sexuelle qui peut choquer et une femme qui choisit de  porter un soutien-gorge donne du sens aux  principes qui relèvent de la pudeur et du puritanisme. En revanche, celle qui s’en remet  priorise la jouissance et le plaisir du corps.

Poids du regard de la société 

La jeune blogueuse Micaëlle Charles n’a que faire des « tu le fais exprès » des gens  ou des regards qui s’attardent sur sa poitrine. Elle croit que son acceptation fait partie d’un long processus de déconstruction que très peu en sont arrivés. Cependant, elle adopte des comportements qui, selon elle, peuvent prévenir certaines agressions. En s’interdisant  certains habits qui laissent trop entrevoir la forme de ses seins. « Je dois avouer que je ne suis pas prête à assumer tout type d’habit, surtout ceux à base de tissus moulants qui  autorisent le mouvement de mes seins ,  je les choisis donc avec soin », admet la comédienne. 

Pendant que pour Emilie Marcelin, les injonctions ont des effets inverses. Ce n’est pas facile tous les jours pour la jeune militante, elle avoue parfois remettre  son choix en question. « À force qu’on me recommande le soutien-gorge, je me dis parfois que je dois renoncer au no-bra ». Mais ses convictions sont plus enracinées que jamais, rien ne peut les secouer au point de les arracher. 

Dieunithe Onezaire pour sa part, n’ose plus jamais se montrer en public avec les seins découverts. Se laissant emporter par sa peur des réactions, insultes et remarques désobligeantes à son sujet, elle en renonce. « Je me suis promis de ne plus me montrer en public sans soutien- gorge »  avoue la normalienne. 

Selon un sondage mené en 2020 en France, une femme sur six de moins de 25 ans ne porterait  plus de soutien-gorge. Le même sondage révèle que 14% des femmes vont au travail sans soutif. Dans d’autres pays d’Europe, le pourcentage de femmes qui bannissent le soutien-gorge chute : 3% en Espagne, 2% en Italie et à 1% en Allemagne et au Royaume-Uni. 

*Bruno et Vladimirovitch sont des noms d’emprunt utilisés pour l’article.

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