Il est tout à fait évident que la question de l’échec scolaire reste et demeure une source de préoccupation incontournable dans le sillage des réflexions autour de l’éducation en Haïti. Une réalité qui, fondamentalement, a fait couler beaucoup d’encre. De nombreux intellectuels (philosophes, linguistes, sociologues…) n’ont pas manqué de réfléchir, à leur manière, sur le taux de décrochage scolaire qui atteint une proportion bien plus qu’alarmante en Haïti, comme l’a si bien dit Ronald Jean-Jacques.
Ce phénomène qui ne date pas d’hier est encore d’actualité en Haïti. Quand pour certains, le décrochage scolaire est lié en grande partie aux problèmes financiers, aux famines; pour d’autres, l’échec scolaire est tout bonnement lié à la diglossie qui bat son plein avec fracas dans le système éducatif haïtien. (C’est aussi notre position)
Les tenants de cette thèse affirment, d’emblée, que la diglossie dans notre système éducatif non moins malade que précaire, entrave la réussite des apprenants. Car, ils sont obligés de suivre un enseignement en français, langue étrangère non connue par la majorité d’entre eux au détriment du créole parlé par tous les Haïtiens vivant en Haïti.
De ce fait, les apprenants se trouvent dans une situation défavorable et défavorisée en même temps dans le processus d’apprentissage. Ils sont en train de faire face à ce que Pierre Bourdieu appelle « arbitraire culturel ». C’est-à-dire, la culture sélectionnée par l’école n’est autre que celle du milieu aisé. Les individus qui sont issus des milieux non aisés se trouvent dans une situation inconfortable dans le long processus d’apprentissage. C’est dans une telle perspective que l’auteur de « Ce que parler veut dire » avance que l’école sert à reproduire les inégalités sociales.
De plus, pour les tenants de ladite thèse, il parait très aberrant que la langue maternelle des Haïtiens, en l’occurrence le créole, participe très faiblement dans le processus d’apprentissage. Par-là, ils estiment qu’il y a une sorte de discrimination linguistique dans le système d’enseignement en Haïti.
En outre, quoique les approches sur ce qui entrave la réussite scolaire en Haïti soient d’ordre pluridisciplinaire, nonobstant, qu’il s’agisse de linguistes, philosophes, sociologues ou encore pédagogues, ils sont tous unanimes à reconnaitre que rien n’est plus absurde, rien n’est plus rocambolesque que de ne pas valoriser le créole comme langue de la communication et de la cohésion sociale de tout un peuple pendant plus de deux siècles. C’est dans cet ordre d’idée que Bentolila avance: « la langue créole est l’un des traits qui définissent la nation haïtienne et est vécue par chaque haïtien comme une composante de son identité… Le créole haïtien n’est pas entaché du vice de la servitude car la lutte pour l’indépendance de la première République noire lui a donné une signification nationale comme langue d’un peuple qui s’est affranchi les armes à la main et le créole en bouche ».
Lutter contre la diglossie, le remède
Pou remédier à la situation critique de notre système éducatif, il faut lutter absolument contre le phénomène de la diglossie qui ronge notre système. Ce dernier peut être expliqué par le fait que le créole est maintenu dans une situation d’infériorité par rapport au français. Cette marginalisation linguistique n’est pas tombée du ciel, elle est la conséquence intentionnelle de l’inconséquence intentionnelle de nos chers dirigeants fantômes. Car, quoique ces derniers se rendent compte que la diglossie pose un sévère problème dans le processus de socialisation de l’écolier haïtien, ils n’arrivent pas à l’éradiquer.
Les efforts pour réduire l’insécurité linguistique dans notre système éducatif sont mort-nés. La réforme Bernard est un exemple probant en ce sens. Ladite réforme voulait que le créole soit la langue d’enseignement en Haïti. Cette mesure qui pourrait être fructueuse se révèle inefficace; d’ailleurs la preuve en est bien grande, elle n’a pas été opérationnelle dans toutes les écoles en Haïti. Donc, l’État voyou que possède Haïti doit adopter d’autres mesures afin qu’il puisse trouver une bonne solution à ce problème. Cela peut s’expliquer par le fait que jusqu’à aujourd’hui il est fort de constater que l’école qui a pour mission de transmettre la connaissance favorise une petite minorité au détriment de la grande majorité, car la langue comme vecteur d’intégration sociale participe grandement dans le processus d’apprentissage.
Et, il n’est nullement faux de dire que, dans le processus d’apprentissage, le fait par l’écolier haïtien d’utiliser une langue qu’il ne maitrise même pas, cela va diminuer sa performance académique et provoque dans une certaine mesure son échec scolaire.
Comme le mentionne Virginie Dumont: « L’école est un milieu de première importance où les jeunes épanouissent leur propriété, c’est un lieu où l’on apprend, c’est aussi un lieu où l’on grandit ». De ce point de vue, l’écolier doit avoir la chance de s’exprimer dans la langue qu’il maitrise mieux afin qu’il puisse s’épanouir pleinement. À titre d’exemple, un élève qui est issu du milieu où l’on parle français pourrait apprendre avec plus de facilité qu’un élève qui passe son temps dans un milieu où l’on ne parle que le créole. Par-là, on voit clairement que l’égalité des chances dont on parle à l’école parait comme un leurre, une illusion. En ce sens, l’école ne fait que reproduire les inégalités sociales.
« À notre humble avis, l’un des moyens de tout sauver à cette heure éminemment critique n’est autre que celui de réduire à néant l’insécurité linguistique partagée qui bat son plein dans notre système éducatif. »
La valorisation du français au détriment du créole à l’école peut provoquer de graves troubles d’apprentissage voire des difficultés scolaires pour parler au sens de Virginie Dumond de l’expression. C’est dans cette lignée que Déjean avance: « le péché majeur commis par le système éducatif traditionnel haïtien dans son emploi exclusif ou dominant du français comme langue d’enseignement, c’est de faire comme si les écoliers haïtiens ne pensent pas déjà dans une langue bien définie: le créole ». Le système invite dès l’âge les plus tendres à ne pas réfléchir, à ne pas penser. C’est une forme de cruauté mentale. Il favorise les conflits intérieurs et le déséquilibre mental et au lieu de prêcher l’épanouissement, il recommande le refoulement.
Dans une telle anomalie, l’écolier haïtien se trouve toujours dans l’obligation de se référer à sa langue maternelle dans la situation où la connaissance du français se révèle inefficace. À titre d’illustration, après maintes années de scolarité, quand on demande à l’écolier haïtien de se présenter en français, il fait face à tous les maux du monde parce qu’il n’a jamais maitrisé cette langue. C’est cette situation que Bentolila qualifie d’insécurité linguistique partagée.
À notre humble avis, l’un des moyens de tout sauver à cette heure éminemment critique n’est autre que celui de réduire à néant l’insécurité linguistique partagée qui bat son plein dans notre système éducatif. Ledit système qui est sujet à tous les maux. Si nous faisons cela nous aurons le temps de tout sauver.
Je suis né un 30 avril et je suis originaire de la ville de Petit-Goâve où j’ai vécu toute mon enfance. Je suis licencié en sociologie de l’Université d’Etat d’Haïti (FASCH-UEH). Je suis actuellement thésard en Sociologie du travail.
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