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Dix poèmes de Georges Castera à lire absolument

Le  poète Georges Castera Fils vient de nous quitter malheureusement le 24 janvier 2020. Il est parti à l’âge de 83 ans. Maintenant,  il nous reste que ses œuvres : des pièces de théâtre ainsi que des poésies. Il est parti sans nous dire au revoir. Hélas ! Mais, c’est la  loi de la vie. Nous ne sommes pas  sur cette terre éternellement ;  ici nous  sommes des  passant.e.s. Si c’est vrai que  le  poète est parti pour l’au-delà, il ne quittera jamais nos cœurs, nos nuits poétiques… Ses œuvres nous rappelleront à chaque instant combien ce génie de la littérature haïtienne contemporaine a marqué son temps. Voici dix de ses poemes qu’il faut lire au moins une fois avant de mourir.  

1. Mersi !

C’est  un long poème de sept strophes à travers lequel  le  poète fait une radiographie du problème de circulation dans le pays sous un soleil de plomb. Dans ce poème retrouvé dans le recueil « Gate Priyè » paru en 1990, il pose la problématique du transport en commun. Une situation qui n’a guère changé depuis, sinon qu’elle s’empire.

Mersi

Solèy

ala yon gwo zafè !

Solèy pa gen manman.

Solèy pa gen papa,

lan lari l’ rete

tout tan.

Lan lari

tout moun an majigridi

anba solèy cho,

y’ap tann machin,

machin ki derefize rete

pou pasaje.

[…]

2. Fèt de lab

Publié  en 1980   dans le  recueil « Zèb atè », Georges Castera a fait un constat de la dégradation de l’environnement du pays tout en dénonçant la mauvaise gestion des responsables de l’État. Il a donc interpellé nos autorités.

Fèt de lab

Leta di se fèt pyebwa.

Atò,

kote pyebwa a ?

Tout kote n-ale

labim adwat

labib agòch :

nou lan fènwa de fwa.

Dlo ap desann.

Se vale san kraze.

Lanmè klere kou soud.

[…]

3. Tire

Dans ce poème, Castera expose de plein fouet le problème posé par la circulation d’armes à feu dans tout le pays. Il fait ressortir tous les maux que cela peut engendrer dans la société.  À l’heure actuelle, avec la prolifération des gangs dans le pays, la lecture de ce poème est recommandée. Il est disponible dans Gate Priyè (1990).

Tire

bal la fè twou

pou-l pase rantre

l’ale, li travèse

depi se trip,

depi se pye, jizye,

mwèltèt.

Li pase an boulin,

an boulvès

li vire antre

bourade kraze

wa di

yon bagay

l’ap chache nan mitan fèy papye.

bal la kwaze

ak kat tikatkat

ki te chita ap etidye

[…]

4. Pwèl Fanm

Dans « Pwèl fanm », il se peut que c’est la première fois qu’un poète haïtien aille aussi loin dans l’expression de l’érotisme où le corps féminin n’est pas seulement vu, mais vécu dans l’intimité la plus secrète. Un véritable chef-d’œuvre. Le corps de la femme est souvent au cœur des écrits de Georges Castera.

Pwèl Fanm

Ou kouche nan bra m’

Pwèl ou, cheri, tankou fwoumi fou

Y’ap grenpe toupatou

Sou je m’, sou cheve m’

Sou bouch mwen tou

Yo tèlman long

Se fèy kokoye

Yo gaye

Yo fè m’ egare

Sou lanmè, pwèl ou tounen vwèl

Nan syèl, yo tounen lakansyèl

[…]

5. Lè ou ri

Dans ce poème, le poète met sur un tableau l’ensemble des émotions et des désirs qui l’habitent quand, devant lui, sa dulcinée laisse sortir un rire. Mais aussi l’effet qu’un tel acte provoque sur e monde qui l’entoure.

Lè ou ri

Figi-w kase kòd,

ou ri tout ri

ki nan kò-w

ou ri tout solèy,

tout lalin

tout lari

brase ansanm,

ou pase yo lan rizib,

pase yo lan krib

fen fen

jistan lonbrit

tout chimen

ateri lan plamen-ou.

Lè ou ri, cheri,

se kouri van ape kouri

pou-l vin ri

avè-w.

Lè ou ri

se konsi se solèy

ki poze lan men-m

an milyonven ti moso

zenglen mouri-limen.

[ …]

6. Eléments d’un dossier

Ce poème est publié en 1996  dans le recueil la « Voix de tête ». Un petit bijou poétique diraient certains.

Eléments d’un dossier

Aujourd’hui pêle-mêle

vulnérable vulve d’encre

giclée

mur prisonnier du mur

brutal mur qui troue la vie

mur dur entier dans la dureté

mur qui entre à coups de talon

dans l’indicible

les maisons ont perdu

leur bouquet de rues

Quatre murs

c’est déjà un labyrinthe

la tragédie

le pain qui s’enveloppe de mouches

puis

d’autres murs

d’autres murs s’accouplant

au milieu des cris

[…]

7. Te voici dévêtue dévoilée…

Le poème se trouve dans le recueil « Ratures d’un miroir » sorti en 1992.

Te voici dévêtue dévoilée…

Te voici dévêtue dévoilée dévolue

violente par nuées et brassées

au plus haut de l’écriture

je t’aime dans la longévité du mot

je t’aime dans la brièveté de l’acte

tes rires ont saccagé le basilic du songe

et ton corps s’est offert blessé

lourdement contre la masse pluviale qui nomade

vers le ciel inéclos

atteint en son milieu d’une épidémie de

cerfs-volants

[…]

8. Un soir en dentelle…

Dans Quasi parlando (1993), le poète nous gratifie un autre de ses poèmes qui accompagnera dans nos joies comme dans chacun de nos moments de solitude.   

Un soir en dentelle…

un soir en dentelle

au goût poudreux

de ton épaule dans la glace

j’ai entendu la mort dans ses phonèmes de craie

le vent crachant dans les venelles

le vent crachant dans mes poumons

j’ai dit adieu

au papier écolier

à la trace d’une chevelure

laissée par la marée

de tes baisers sur ma bouche

j’ai connu l’enfance des mots

la solitude de l’écrit

l’opacité de l’étreinte qui remue

nos langues musicales

comme jeu de cartes

la dureté du bois

le chant dans sa brisure

la lune

tel un nombril

sortait de ma boutonnière d’enfant.

9. Pollen

Toujours dans le recueil Quasi parlando, Georges Castera attrape le lecteur au collet à travers ce poème d’une sensibilité renversante.

tout devient inusable

le temps

ce que j’appelais déjà notre amour

et qui n’a pas de nom

ah! je dis que l’herbe est haute en nous

avec sa fanfare et son espace

les fourmis ne mangent plus à table

ne crayonnent plus leur désolation

nous sommes là ici et partout

tu vas sous la pluie sous les phrases

dans tes vêtements brûlants

te débobinant en jeu d’abeilles

et de camphre

le printemps s’est jeté

dans mes mains nues

comme une table tournante

légère ta robe de maçonnerie

de temps chiffrés

monte par les chemins les plus divers

et ton visage

devient aussi vrai

qu’un ultimatum

10. Certitude

Ces vers sont figurés dans le poème « Certitude » publié dans l’anthologie « L’encre est ma demeure », aux Éditions Actes Sud, en France, et repris dans « Voix de tête » aux Éditions Rupture. C’est un poème  connu de tou.te.s ceux et celles qui lisent et/ou écrivent de la poésie. C’est un classique.

Certitude

Ce n’est pas avec de l’encre

Que je t’écris

C’est avec ma voix de tambour

Assiégé par des chutes de pierres

Je n’appartiens pas au temps des grammairiens

Mais à celui de l’éloquence

Étouffée

Aime-moi comme une maison qui brûle.

Notes.

Photo de couverture: Georges Castera / http://lecaravanseraildespoetes.blogspot.com

Mersi ! » et « Tire ». Gate Priyè. Port-au-Prince: À Contre-courant, 1990.

« Fèt de lab ». Zèb atè. New York: INIP (Idées Nouvelles, Idées Prolétariennes), 1980.

« Te voici dévêtue dévoilée… ». Ratures d’un miroir. Port-au-Prince: Imprimerie Le Natal, 1992.

« Un soir en dentelle… » et « Pollen ». Quasi parlando. Port-au-Prince: Imprimerie Le Natal, 1993.

« Élements d’un dossier ». Voix de tête. Port-au-Prince: Éditions Mémoire, 1996.

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