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Les Grenadiers devaient ou ne devaient pas se rendre au palais national?

Trois des Grenandiers reçus au palais national. Photo de la présidence

C’est la question qui défraie la chronique depuis le début de la semaine. Certain.e.s internautes ne tirent pas à blanc sur leurs nouvelles idoles qui leur ont apporté tellement de bonheur à la Gold Cup pour avoir répondu à l’invitation du palais national.

La visite de trois des Grenadiers au palais national où ils ont été reçus par le président Jovenel Moise, Jean Michel Lapin et d’autres personnalités de l’exécutif a créé une grande polémique sur la toile. Depuis mardi, les réactions ne cessent de se multiplier sur les réseaux sociaux numériques. Pour plus d’un, pas question pour les Grenadiers de rencontrer un président de la République dont le nom est cité dans un scandale de corruption. D’autres images montrant ces joueurs en dîner avec des artistes dont l’ancien président Michel Martelly allaient jeter de l’huile au feu. Beaucoup sont ceux.celles qui fustigent cette décision des joueurs de l’équipe nationale.

Dans un autre camp, d’autres internautes essaient de défendre nos « façonneurs de fierté ». C’est injuste de dézinguer ceux qui viennent de faire flotter très haut notre bicolore, défend cette catégorie. Dans ce camp, on dénonce l’ « intolérance » des « contempteurs.trices » qu’on accuse de vouloir reproduire les vielles pratiques du régime dictatorial. Ils.elles font valoir que le sport est apolitique et que les Grenadiers peuvent rencontrer des gens de tous les secteurs sans ambages.

Et si ce n’était pas si grave… ?

La participation faramineuse de la sélection haïtienne à la Gold Cup cette année nous rappelle encore que le sport peut être un grand moyen d’établir un climat de paix. En pleine crise généralisée, le pays a connu des moments d’euphorie malgré la misère, et l’insécurité de toutes sortes. Pendant un moment, beaucoup ont mis de côté leur appartenance politique et tout le monde se focalise sur la compétition. On vit la fierté ensemble, que l’on soit pour ou contre le départ de l’équipe au pouvoir.

Depuis toujours, on a voulu séparer sport et politique. Le sport est apolitique, scande-t-on. Des pays en guerre, selon ce principe, peuvent s’affronter dans « la paix » dans quelle que soit la compétition sportive. Même si au final ce n’est qu’une « euphémisation » des rivalités ; des slogans haineux se font souvent entendre au milieu des foules.

Quand des athlètes participent à une compétition sportive sous les couleurs d’un drapeau, ils.elles représentent l’ensemble des citoyen.ne.s  de ce pays. Enfants, jeunes et vieux.vielles, pauvres et riches, croyant.e.s et athées, corrompu.e.s et gens honnêtes, opposant.e.s et proches du pouvoir, tout le monde est représenté. Ainsi tout le monde a le droit de se réjouir de leur éventuelle victoire. Même un président contesté par le plus grand nombre malheureusement.

Partant de cela, les Grenadiers ont le droit d’accepter les honneurs de qui ils souhaitent. Donald Guerrier a été reçu en prince dans la ville des Cayes. Des milliers de gens ont été descendus dans les rues pour donner de vibrants honneurs au Grenadier. De la même façon, ils ont le droit d’accepter ou non de répondre à l’invitation du président de la république. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils soutiennent le pouvoir, même si celui-ci a tout à gagner de recevoir ces héros dans le contexte actuel.

En outre, comme certain.e.s internautes le soutiennent, ce serait faire preuve d’intolérance de priver à quelqu’un son droit de faire les choix qu’il souhaite pour sa vie. Et si rencontrer un président de la république était l’un de leurs rêves en tant que joueurs ?

Pourquoi les Grenadiers devaient bouder l’invitation du palais national ?   

La tolérance veut également que les Grenadiers et tous.toutes ceux.celles qui sont lésé.e.s par les critiques acceptent que tout le monde a le droit de prendre sa position librement sur un fait. C’est dire que, de même que ces joueurs ont le droit de se rendre au palais national, on a le droit de les critiquer, pourvu que les critiques se fassent dans le respect.

En réalité, la conjoncture socio-politique actuelle du pays nous permet de déduire que les Grenadiers ne devraient pas se rendre au palais. En guise de rappel, depuis un an, le pays ne cesse de se mobiliser contre la corruption et l’impunité. Ces mobilisations ont débouché sur les rapports de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA) dans lesquels Jovenel Moïse lui-même est accusé de corruption.

On est aujourd’hui en face de deux évidences : le chef de l’État est contesté par le plus grand nombre et les grenadiers ont gagné en notoriété après la coupe d’or. Beaucoup plus de personnes suivent les joueurs de l’équipe nationale, surtout ces trois joueurs qui se sont rendus au palais. Il va sans dire que leur moindre action peut avoir de grands impacts. Le palais national l’a peut-être compris. Quoi de mieux pour calmer la population qu’une petite cérémonie avec les nouvelles idoles du peuple ?

Si le sport est apolitique, les actions des sportifs, cependant, peuvent avoir de grandes incidences sur la politique. Dans le contexte actuel, accepter de s’asseoir avec des gens que le peuple accuse d’avoir tué ses rêves, et qui sont indexés dans un scandale de corruption, peut être vu comme un mépris des revendications populaires ou tout bonnement une prise de position face à la conjoncture. Une position malheureusement en faveur de l’impunité. Au fait, est-ce que si l’on s’assemble cela ne sous-entend pas qu’on se ressemble ?

On a souvent voulu à tort éjecter les sportifs du débat public. Mais certain.e.s sportfifs.ves ne se laissent souvent pas faire. Le plus récent cas concerne les joueuses de la sélection féminine américaine de football, conduites par Megan Rapinoe, qui ont refusé de se rendre à la maison blanche suite à leur victoire au mondial 2019. Mais l’on se souvient encore de Tommie Smith et John Carlos, deux sprinters américains, qui ont levé leurs poings sur le podium des JO de Mexico en 1968 pour protester contre les discriminations dont sont victimes les Noir.e.s aux États-Unis.  En 2017, plus d’une centaine de joueurs de la NFL se sont agenouillés pendant l’hymne américain pour exprimer leurs désaccords à Donald Trump. Au Brésil, lors des dernières élections, de nombreux footballeurs très populaires comme Ronaldinho, Cafu, Rivaldo ou encore Felipe Melo ont tous pris position ouvertement en faveur de l’un ou l’autre des candidats.

Nous n’avons nullement la prétention d’imposer ces cas comme la norme. Toutefois, l’on doit reconnaitre que les Grenadiers ont raté une opportunité en or pour prendre position en faveur de la lutte contre l’impunité et la corruption dans le pays. Ce n’est pas qu’ils prétendraient que tous.toutes ceux.celles dont les noms sont cités dans le scandale petro caribe soient coupables, mais ce serait dire qu’en tant que jeunes, ils ne sont pas prêts à cautionner le mal. Mais les Grenadiers devaient ou ne devaient pas se rendre au palais? C’est juste une question de choix personnel, en fonction de leurs valeurs, leur niveau d’engagement et leur conscience citoyenne.

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