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« Refren doulè », le refrain douloureux de nombreuses petites filles haïtiennes

Illustration Crédit: https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/enfants-victimes-d-abus-sexuels-comment-briser-le-silence-7795444383

En Haïti, les viols perpétrés au sein des familles sont majoritairement étouffés. Refren doulè, cette chanson classée en septième position sur l’album Liminasyon de Cie Bazou, interprétée par Néhémie Bastien, illustre pleinement la condition de beaucoup de fillettes haïtiennes victimes d’abus sexuel.

À travers le monde, les fillettes victimes d’agression sexuelle chantonnent un refrain très douloureux. Il est extrêmement pénible pour des petites filles de se voir sexuellement abusées par des membres (ou des amis) de la famille, des personnes qu’elles aiment et auxquelles elles sont attachées, et ensuite de grandir avec les traumatismes. Sans accompagnement, dans le silence de tous et de toutes. Révoltants, ces abus sont fréquemment commis dans des milieux auxquels les victimes sont très habituées comme les familles, les écoles, les églises, et même dans des orphelinats.

À ce propos, l’Unité de Journalisme d’Investigation sur la Corruption et d’autres Problèmes Systémiques a rapporté en 2018, qu’au moins 13 fillettes ont été violées dans un orphelinat, par un pasteur que les enfants surnommaient “Gran papa”.  Récemment, nous avons appris que deux fillettes de 10 et 8 ans ont été violées dans leurs établissements scolaires, respectivement à Saint-Marc et aux Gonaïves. On retrouve dans tous les recoins des cas similaires, mais le nombre de cas non mentionnés est encore plus important. Chacune des lignes de cette chanson décrit cette dure réalité dans laquelle se noient de nombreuses adolescentes haïtiennes.

Mwen son tifi ki tou pitinMwen son lezanj kap pwomennennChimen mwen plen pikannPa gen yon zòrèy ki pou tande mnPaske m piti, koze m pa vren

In, Refren doule

Il s’agit d’une fillette innocente, qui fait face à des atrocités et délaissée par ses plus proches. Un enfant qu’on juge parce qu’elle est enfant, sans lui laisser la chance de se défendre. Un parfait reflet de notre culture, qui ne valorise pas assez souvent les paroles provenant de la bouche d’un enfant, partant du principe que l’enfant invente toujours des histoires. Dans certaines familles, les enfants n’ont même pas le droit d’exprimer ouvertement leur ressentiment.

Mais en dépit de tout, elles veulent partager ce fardeau :

Pwoche zòrèy ou manman, pou m diw mouche sa te manyen m. nPwoche zòrèy ou papa, pou m diw kisa tonton m te fè m.nPwoche matant pou m diw kijan kouzen w petri m.nPwoche zòrèy ou tonton, pou m di w sa vwazen an te fè m.n

In, Refren doule

Aussi, à travers cette strophe, est-il important d’attirer l’attention sur le fait que ces violences proviennent généralement des gens les plus proches. Dans un rapport publié par Médecins sans Frontières en juillet 2017, on a constaté que 53 % des patients qui se sont présentés à la clinique (sur une période de deux ans) avait moins de 18 ans, la plupart étant des victimes de viol ou d’autres formes de violences sexuelles. « Quatre mineurs sur cinq connaissent leurs agresseurs, qui sont pour la plupart des connaissances de la famille, et parfois même des membres du foyer (11 %). La plupart des enfants de moins de 10 ans (71 %) ont été abusés dans des endroits où ils devraient se sentir en sécurité tels que chez eux, chez des amis ou des parents. »

Monte kabann, dòmi pa pran m. nM fèmen je m, se mak men li.n

In, Refren doule

Un cauchemar qui n’en finit pas. En effet, les souvenirs des agressions subies ne disparaissent presque jamais. La majorité des enfants n’oublient pas et grandissent avec les séquelles. Mais le plus douloureux pour la victime, c’est le silence de ses proches.

Les causes du silence

Selon Laetitia Degraff, psychologue et sexologue, ce silence à plusieurs causes. Elle avance que les parents présentent souvent une forme de déni, vue en ce sens comme une autodéfense. Il est moins douloureux pour les parents de ne pas croire les enfants plutôt que d’admettre qu’un membre de la famille ou un ami était capable d’un tel acte et abuser de leur confiance. Un déni qui se construit dans le but de se protéger, d’apaiser leur culpabilité et aussi de protéger la réputation familiale.

nTanpri manman reyaji non,nTanpri papa poze l kesyonn

In, Refren doule

Des enfants qui implorent leurs parents à prendre leur défense. Alors que ces derniers étaient censés là pour les protéger. La petite voix invite les parents, parfois inconscients, à prendre en main leur responsabilité. Dans de telles situations, la psychologue affirme que l’écoute et le soutien des proches sont déterminants dans le processus de guérison.

…Manman m dwete mnPapa m ronfle mnSe verite mwen tap palenM bezwen yon zòrèy ki pou tande mnM bezwen yon biskèt pou m apiye

In, Refren doule

Bannir le secret

En guise de soutien, parfois les victimes sont encore plus agressées, alors qu’elles ne cherchent qu’à se faire entendre. Certains parents les font même passer des tests de virginité. Une pratique qui traumatise les victimes et fragilise leur relation avec leur corps à la longue selon la psychologue.  Ce qui pousse bon nombre d’entre elles à préférer se cloîtrer dans le silence.

M rele anmwey yo pa tandenTanpri souple …. Souf mwen ap koupenTanpri manmannTanpri papa …n

In Refren doule

Des supplications qui n’en finissent pas. Parce qu’il est clair que les parents ne sont pas à l’écoute, que les proches font l’aveugle et les témoins les muets. Refren doulè est une belle mélodie avec un message fort pour dire qu’en 2021 il n’est plus question de faire la sourde oreille, alors que ces enfants sont en détresse. 

Pour la psychologue Laetitia Degraff, il faut à tout prix bannir le secret. Il ne faut pas laisser l’occasion à ces abus de perpétuer. Le dialogue doit être primordial au sein des familles. « Quand la victime, après avoir pris le courage de venir vous en parler, il faut la croire », insiste-t-elle fermement. Nos fillettes haïtiennes ont besoin de protection, de soutien et d’accompagnement. Dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes et des filles, apprenons à valoriser leurs mots, à leur donner la parole, mais surtout, à les croire.

Ecoutez la chanson “Refren doulè »

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