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Sortir de l’insécurité alimentaire en Haïti: un expert du GIEC préconise une politique agricole climato-intelligente

Le dernier rapport spécial du Groupe d’Experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) (rendu public le 8 août dernier) révèle que les terres représentent une ressource fondamentale et font partie de la solution au changement climatique. Ce phénomène, selon le rapport, peut intensifier l’insécurité alimentaire, situation dans laquelle Haïti s’enfonce de jour en jour. Pour y sortir, l’un des principaux auteurs de ce rapport, l’expert haïtien Kénel Délusca préconise notamment une politique agricole climato-intelligente et des mécanismes de transfert de risques pour les producteurs et investisseurs agricoles. Entretien.

Palmes Magazine : Nous avons le plaisir de vous rencontrer autour du rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui vient d’être publié et qui se porte sur « le changement climatique et l’utilisation des terres émergées ». Qu’est-ce que nous devrions retenir des résultats de ce rapport ?

Kénel Delusca : Il y a quatre (4) résultats ou messages clés à retenir de ce rapport spécial : i) les terres sont l’objet de pressions anthropiques croissantes ; ii) les changements climatiques contribuent à aggraver le processus de dégradation des terre ; iii) les terres font partie des solutions contre les changements climatiques et iv) mais les solutions basées sur les terres ne suffiront pas pour endiguer le phénomène des changements climatiques.

PM : Le rapport « Changement climatique et terres émergées: rapport spécial du GIEC sur le changement climatique, la désertification, la dégradation des sols, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres » parle aussi de la dégradation des sols. Plus le sol est dégradé, moins il est productif et moins il est capable d’absorber le carbone. Donc, un sol dégradé peut donc occasionner une exacerbation du changement climatique qui lui-même peut en retour provoquer une dégradation des sols. Comment un pays comme Haïti doit-il se comporter en ce sens ?

KD : En tant que Petit état insulaire en développement avec 75% de son territoire dans les zones montagneuses, Haïti, faible émetteur de gaz-à-effet de serre, doit prioriser une gestion durable des terres afin qu’elle puisse faire face, entre autres, à la demande alimentaire d’une population sans cesse croissante, aux besoins en eau des différents secteurs et à la nécessité de protection et conservation de sa biodiversité. De plus, elle doit s’efforcer d’avoir un zonage qui vise notamment à protéger les terres agricoles qui sont relativement limitées.   

Dr. Kénel Délusca

PM : Le rapport montre que le changement climatique a une incidence sur les quatre piliers de la sécurité alimentaire, à savoir la disponibilité, l’accès, l’utilisation et la stabilité. Durant ces dernières semaines, l’insécurité alimentaire inquiète de plus en plus de gens en Haïti. Comment le pays peut-il sortir de cette situation ?

KD : Il faudra une politique d’aménagement territorial plus appropriée qui protège notamment les espaces agricoles, une politique commerciale plus juste qui n’entrave pas les initiatives nationales de production agro-alimentaire, un retour aux habitudes de consommations haïtiennes, une valorisation du métier d’agriculteur, une diminution des pertes post-récolte, une politique agricole climato-intelligente et des mécanismes de transfert de risques pour les producteurs et investisseurs agricoles.

PM : 53 % des auteurs de ce rapport spécial du GIEC sont originaires des pays en développement. Qu’est-ce qui explique cela ?

KD : Cela s’explique notamment par une politique du GIEC qui vise à atteindre non seulement un équilibre régional mais aussi un équilibre entre les chercheurs des pays développés et ceux des pays en voie développement. Dans cette perspective, le bureau du GIEC n’a cessé d’encourager les pays en voie de développement, à travers leur point focal, à soumettre les candidatures des chercheurs qu’ils estiment compétents dans les champs d’intérêt des rapports du Groupe.

PM : Vous êtes le premier spécialiste haïtien à participer à la rédaction d’un rapport du GIEC et vous en êtes un des porte-paroles. Comment vivez-vous cette expérience ?

KD : C’est une expérience assez enrichissante pour moi. Elle me permet de côtoyer le plus grand réseau de chercheurs sur la thématique. De plus, elle m’encourage à ne pas lâcher, car les résultats des rapports du GIEC ont une incidence directe sur l’orientation des politiques publiques à différentes échelles géographiques. Ma participation comme auteur principal au GIEC peut également inciter les jeunes chercheurs à exceller dans leurs champs de compétence dans l’objectif de rejoindre cette autorité scientifique dans le domaine des changements climatiques.

PM : Ce n’est pas seulement Haïti qui doit se réjouir de votre présence au GIEC, mais ce sont tous les petits États insulaires de la Caraïbe, a dit un ressortissant de Sainte-Lucie. Pourquoi ces PIED doivent s’en réjouir ?

KD : Ils doivent s’enorgueillir du fait que de plus en plus de scientifiques de la région prennent part aux travaux du GIEC offrant non seulement une visibilité pour nos institutions de recherche, mais aussi la possibilité de favoriser une meilleure prise en compte des enjeux, défis ou opportunités spécifiques aux PEID.

PM : Que conseilleriez-vous au gouvernement d’Haïti après la publication de ce rapport spécial du GIEC ?

KD : Je lui dirai tout simplement qu’il est temps que la politique mette à profit les fruits des travaux scientifiques robustes. Simple à dire, mais dans la pratique, cela impliquerait des changements sans précédent à différents niveaux.

Kénel Délusca est Ingénieur-agronome de formation. Il détient un doctorat et un postdoctorat en géographie physique de l’Université de Montréal. Vice-président du Groupe d’experts des pays moins avancés et membre du Groupe consultatif d’experts de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, Dr. Délusca occupe depuis 2015 le poste de chef de mission de l’assistance technique du programme AP3C sur les changements climatiques, programme  financé par l’UE et mis en œuvre par le MDE.

Image de couverture: Illustration  credit: www.cta.int

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