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Un étudiant haïtien, cireur de bottes

Étudiant à la faculté d’Ethnologie, finissant en communication et en journalisme à l’Alliance française, Kentor Stanis Pierre a décidé de devenir cireur de bottes. Vêtu comme s’il allait travailler dans une entreprise, il parcourt les rues de la capitale d’Haïti avec sa boîte en main pour cirer des chaussures. Entre-temps, ce jeune garçon a deux pancartes sur lui, l’une devant lui et l’autre derrière, pour faire passer son message à la société haïtienne.

Publié le mercredi 19 septembre 2018 dans le quotidien Le National

Il s’appelle Kentor Stanis Pierre, étudiant en première année à la faculté d’Ethnologie, fermée depuis environ une année, et finissant en communication et en journalisme à l’alliance française de Delmas. Soulier noir, pantalon gris, chemise bleue à barre blanche, cravate bleue marine et lunettes aux yeux, ses cheveux bien rasés de façon simple, il tient dans sa main gauche une boîte en bois et une cloche dans sa main droite. Cet étudiant n’a eu aucune gêne à devenir cireur de bottes.

Ainsi vêtu, le jeune homme étonne tous ceux qui le croisent pendant qu’il parcourt l’avenue Christophe avec sa boîte de travail en main. Tous se mettent à le dévisager et à émettre leurs opinions. Si certains pensent qu’il est fou, d’autres voient en lui un jeune qui cherche à contourner les obstacles socioéconomiques de ce pays pour gagner honnêtement sa vie. Il n’entend rien de mal. Très détendu et souriant, il s’occupe de son nouveau métier : cirer les chaussures des clients.

« Mèsi edikasyon nasyonal »

En parcourant les rues, le jeune étudiant placarde à sa chemise deux feuilles de papier blanc, l’une à l’avant l’autre à son dos, sur lesquelles il exprime son ras-le-bol. « Mèsi edikasyon nasyonal », peut-on lire sur son dos partout où on le croise. Sur la face de sa chemise, il s’interroge plutôt quant à une meilleure vie pour sa famille. « Eske lakay pa p janm bon », questionne-t-il.

« Le système éducatif haïtien a échoué », insiste le jeune communicateur, dénonçant le fait que les jeunes, malgré leurs efforts pour terminer leurs études classiques et universitaires, doivent soupirer après l’aumône d’une autre personne. Perplexe quant à un avenir meilleur pour le pays, Kentor Stanis Pierre se questionne sur le changement. Pour lui, depuis longtemps, la vie dans ce pays n’était pas à la portée des jeunes qui, même avec des licences, des maitrises et des doctorats en main, trainent à la merci des autres.

Echoué à quatre reprises dans le processus requis pour intégrer la police nationale d’Haïti (PNH), le jeune héros considère le métier de cireur de bottes comme un moyen pour envoyer un message à l’État de ce pays. « Depuis lundi 17 septembre, chaque matin, j’ai pris la décision d’aller établir mon quartier général devant mon ancien établissement scolaire où j’ai bouclé mes études classiques, lycée Jean Jacques Dessalines, afin de dire que le résultat n’est pas bon », a-t-il affirmé. Toutefois, pour ce jeune homme âgé de 24 ans seulement, la pratique de cireur de bottes n’est pas une conduite qui vise à déstabiliser ou de minimiser ceux qui la font, puisque c’est un métier rentable qui lui permet de gérer son quotidien.

« En plus de gérer mon quotidien, ce métier m’aide à continuer à mener la lutte pour la justice, pour des explications sur la dilapidation du fonds Petro Caribe et pour l’intégration de la jeunesse au sein de l’administration publique du pays », lance le jeune. Selon ses dires, il y a trop longtemps que l’impunité règne dans le pays. « Il faut tracer un exemple cette fois-ci », s’exclame Kentor Stanis Pierre, qui dénonce les mauvais agissements des autorités du pays, notamment la PNH, qui traite les jeunes, malgré leur innocence, comme des voleurs parce qu’ils ont de longs cheveux, un anneau à l’oreille ou pour leurs zones de résidence.

Avec plusieurs Curriculum Vitae (CV) déposés dans des entreprises de la zone métropolitaine, le jeune étudiant à l’université et finissant en communication et journalisme ne se préoccupe pas de la perception des autres dans la pratique de son nouveau métier. « Ma famille le sait bien, c’est ma position idéologique. Je suis fier de moi », renchérit le jeune Pierre.

S’il est vrai que beaucoup de jeunes ont fait de leur mieux, fuyant le pays, pour aller vers un autre horizon dans le but de trouver une vie meilleure, d’autres y restent encore et ne cessent pas de combattre, malgré leurs faibles voix, pour une prise en charge de la jeunesse de ce pays. Jour après jour, gouvernement après gouvernement, l’avenir devient plus obscur pour les jeunes du pays. Par la voix de Kentor Stanis Pierre, les jeunes du pays se demandent : Eske lakay pap janm bon ?

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