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Paradoxe théâtrale : Goebbels, Juif et Footballeur

Le comédien Kenny Laguerre interprétant la pièce Goebbels, Juif et Footballeur à l'Institut français en Haïti le 13 novembre 2023. 📸 Carvens R. Adelson

Avec «Goebbels Juif et Footballeur», le théâtre haïtien contemporain se voit enrichi par une œuvre intrigante, profonde et d’une nouvelle thématique.

Il est des livres que l’on ne doit lire qu’à plusieurs reprises, tout comme certains films.  Cela s’applique également aux pièces de théâtre, notamment à la pièce intitulée «Goebbels Juif et Footballeur» écrite par l’excellent écrivain Guy Régis Jr., certains diront de préférence dramaturge, qui a su capturer et traiter, comme il a l’habitude de le faire, des sujets très importants dans la littérature haïtienne contemporaine. Avec «Goebbels Juif et Footballeur», le théâtre haïtien contemporain se voit enrichi par une œuvre intrigante, profonde et d’une nouvelle thématique. 

Au cœur de cette histoire se trouve un footballeur, dont le nom le repose malheureusement à un sinistre passé, celui de Joseph Goebbels, une figure clé du régime nazi. Cette coïncidence fortuite entraîne le protagoniste dans une réflexion profonde sur l’impact que peut avoir un nom et comment il peut influencer la perception des autres et la construction de l’identité.

Une exploration captivante de thèmes intimes

Cette pièce théâtrale est une exploration captivante de thèmes intimes tels que l’amitié, la croyance, le football et l’identité, tout en étant imprégnée d’un soupçon d’ironie et de complexité. Elle contient trois parties. La pièce ne se contente pas d’effleurer ces thèmes, mais les démêle avec une profondeur émotionnelle et une intelligence qui invitent les spectateurs à réfléchir longuement sur sa condition. 

Sous la direction de Rolando Etienne, la pièce a été mise en scène avec un décor réaliste évoquant un terrain de football qui se trouve au milieu de la salle, semblable à un stade. La lumière est tamisée, mettant en valeur le comédien et souligné ainsi son importance, rappelant le statut du personnage central, le joueur de football Goebbels Badet. Ce choix de décor reflète habilement les aspects fondamentaux de la vie du protagoniste en combinant sa passion pour le football et les réflexions profondes qu’il exprime à travers ses monologues intérieurs.

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D’entrée de jeu, le comédien lance le problème primordial qui sera, en effet, débattu tout au long de la pièce. «Je m’appelle Goebbels. Gœbbels ? Pourquoi Goebbels ? C’est mon nom. Comment ?Moi aussi, je me demande comment. Je me le demande depuis bien plus longtemps que vous. Plus de quarante ans que je me pose la question.» Ce passage souligne le questionnement identitaire du personnage.

L’utilisation du nom «Goebbels» évoque immédiatement l’association avec le personnage historique, Joseph Goebbels, haut dignitaire du régime nazi, comme nous l’avons dit plus haut. Le comédien, à travers cette réplique, suscite la curiosité du public en introduisant un élément intrigant. La répétition de la question «Comment ?» accentue le mystère entourant ce choix de nom, incitant le spectateur à s’interroger sur les implications de cette identité dans le contexte de la pièce. 

Une œuvre qui transcende les limites du théâtre conventionnel

Tout au long de la pièce, le personnage émerge, gagne en force au fil de l’intrigue en partageant ses souvenirs. Il raconte l’origine de son nom, tout en soulignant que sa sœur porte également un nom mythique, en l’occurrence Hiroshima. À travers ces noms, le spectateur peut rapidement situer le personnage dans le temps.

Plongé dans ses souvenirs, le protagoniste tente d’inviter le public à comprendre la douleur qu’il ressent en portant ce nom. Il relate les tentatives, pour lui et sa sœur, de changer ces noms, une tâche compliquée étant donné que les alternatives envisagées portent également une «somme historique» aussi lourde que celle de Goebbels. «Avec ma sœur, Hiroshima, nous avons décidé de m’appeler Jules. Un nom simple comme cela. Jules fait partie de ces noms simples comme cela. Vous ne trouvez pas cela simple ? » 

À cet effet, la profondeur de cette pièce émerge donc de la manière dont elle s’inscrit dans un dialogue avec le spectateur, et les penseurs en utilisant le choix du nom propre comme un moyen d’interroger l’existence, la responsabilité individuelle et la complexité inhérente à la nature humaine. Cette exploration méticuleuse contribue à faire de la pièce une œuvre qui transcende les limites du théâtre conventionnel pour devenir une méditation philosophique sur le pouvoir et la signification du nom propre.

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En effet, si l’ironie s’impose comme un dispositif prédominant tout au long de la pièce, il est tout aussi crucial de souligner la présence significative du paradoxe. Notamment, la manière dont le protagoniste décrit et impose au spectateur l’idée qu’il se nomme Goebbels va au-delà des considérations physiques et géopolitiques. C’est une mise en scène habile qui expose la nature paradoxale de la vie, nous forçant à accepter ses contradictions. 

Une plongée fascinante dans les méandres du nom propre

Ce choix de nom, présenté de manière provocante, devient un véhicule puissant pour illustrer que la vie est intrinsèquement tissée de paradoxes inévitables. Prenons l’exemple de sa conversion à la religion juive, un point de pivot dans la pièce. Quand il affirme «Alors je me suis converti. Depuis je suis juif. Juif maintenant. Quoi ? Goebbels ? Goebbels juif. Goebbels juif, quoi ? Et quoi ? Juif de chez les juifs, depuis plus de dix ans maintenant», on peut se dire que non seulement le processus d’acceptation ou de subjectivation atteint son paroxysme, mais aussi cette affirmation confère une dimension révolutionnaire à l’œuvre.

Autrement dit, l’embrasement de la foi juive par le personnage offre ainsi une critique poignante de l’absurdité humaine, révélant comment un individu peut transcender les étiquettes historiques pour adopter une identité qui, au premier abord, semble paradoxale. Cette démarche sert à démontrer la complexité du choix religieux et à inciter à une réflexion approfondie sur la nature des préjugés et des stéréotypes liés au nom.

Cette pièce offre une plongée fascinante dans les méandres du nom propre, empruntant des voies narratives riches en ironie, paradoxes et explorations existentielles. L’œuvre examine comment le choix du nom peut transcender la simple étiquette pour devenir une force motrice de réflexion profonde sur l’identité, la responsabilité et la complexité humaine.

Le protagoniste, par l’adoption audacieuse du nom Goebbels, devient le vecteur d’une signification complexe et paradoxale, soulevant ainsi des questions pertinentes sur la nature de l’existence et les frontières souvent floues entre le tragique et le comique. À travers cette exploration philosophique et narrative, la pièce se dresse comme un miroir réfléchissant, invitant le public à remettre en question ses propres préjugés et à embrasser la richesse des paradoxes qui constituent la trame même de la vie humaine. 

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