Analyse

La nudité dans la mode : entre l’émergence d’une expression de liberté et d’indépendance et l’absurdité

Façonné par le contexte social et culturel qui baigne l’acteur, le cops est ce vecteur sémantique par l’intermédiaire duquel se construit l’évidence de la relation au monde : activités perceptives, mais aussi expression des sentiments, étiquettes des rites d’interaction, gestuelles et mimiques, mise en scène de l’apparence, jeux subtils de la séduction, techniques du corps, entretien physique, relation à la souffrance, a la douleur, …, tel est la vision de David Le Breton dans la « Sociologie du corps » (2018). Une vision du corps vêtu qui suit les lignes de la morale social. Qu’en est-il du corps dénudé ? S’il est devenu de nos jours notre quotidien, c’est en fait une sorte de recul à la pudeur et à la morale sociale et religieuse.

La nudité, s’il faut la comprendre comme un phénomène social, gagne de plus en plus d’espace dans notre vie sociale. Le nu est donc considéré comme un genre artistique qui consiste à faire une représentation du corps. Avec bien entendu une différence entre les époques, où le portrait du corps dénudé masculin était plus fréquents dans l’antiquité et celui féminin dominant les arts européens depuis le XVIIe siècle. Très présente dans certaines pratiques sportives, qui, a bien des égards, ne prenant pas en compte l’aspect culturel et religieux dans les compétions internationale (Lachhed, 2012).

Dans la mode, on doit cette époque au prêt-à-porter dans les années 1950 qui a gagné de la place au détriment du déclin de la haute couture. Les travaux de Louis Réaud en sont les premiers en 1946 à avoir fait un scandale avec l’apparition du « bikini ». Une période à laquelle les tenants de la mode – les designers – ne veulent plus vêtir le corps, pour reprendre Villaça, ils veulent créer un corps qui leur serve de complément.

Survol historique du mannequin

En France, principalement à Paris, la mannequin a vu son jour dans une maison de mode en 1858 d’un couturier britannique, Charles Fréderic Worth (Voir le chapitre précédent). Ce dernier, d’une idée créatrice et innovatrice, se voulant démarquer du support non-mouvant qu’il utilisait avant, qui, d’ailleurs lui coutait plus et lui rapportait peu, a inventé « mannequin vivant ». Cette démarcation de Worth, en ajoutant « vivant » au terme « mannequin », lui a permis de faire la distinction entre l’armature qui est une image en bois taillée ou métallique et le corps de l’être humain. Et c’est à Marie Vernet qu’on doit la première attribution de « mannequin vivant », la femme de Worth. Ce qui lui a fait gagner, non seulement plus de profil en matière de vente, mais aussi un nom comme le précurseur du métier de mannequin. D’autres couturiers, comme Paul POIRET, ont suivi sa trace en faisant la même expérience.

Il a fallu attendre deux tiers (2/3) d’un siècle, soit en 1923, pour détacher la mannequin étant un simple support aux couturiers, mais d’autant plus capable de remplir d’autres taches ; ce qui est du à la montée de la photographie et le besoin de reconnaissance de la mannequin. Vous avez surement remarqué que j’utilise l’article défini « la » pour identifier « mannequin », c’est parce que depuis l’époque de Worth jusqu’à 1936, aucun homme n’a été remarqué sur une passerelle/podium portant une pièce pour un designer (anglicisme désignant un styliste de création). John robert Powers, l’initiateur des agences de mannequins comme entreprise de mode, reconnu aussi comme le premier mannequin homme, débutant ses pratiques en 1913 aux Etats-Unis avec des photographes. Un détail qui semble pertinent, Powers n’a jamais été admis a porté une pièce d’un designer jusqu’à 1936. Mais ce n’est pas tout, il a monté une agence de mannequin dont il n’a recruté aucun homme.

Les années 50-60 marquent un tournant sans précèdent à l’industrie de la mode. Les designers sont de plus en plus libéraux ; la haute couture cède la place au prêt-à-porter. Des photographes immortalisent chaque défilé de mode ; des mannequins qui incarnent la beauté modale. Une libéralité qui joue au bénéfice du/de la mannequin, grâce à quoi, il/elle, dépendamment de son caractère, peut choisir une catégorie à laquelle pour évoluer : mannequin lingerie, mannequin de haute couture, mannequin détail, …

De l’expression d’un sentiment de liberté et d’indépendance du mannequin

Il faut partir du point de vue que la nudité ait trois acceptions. Une qui est le nu partiel dans lequel le mannequin porte une pièce de lingerie et de tenue de bain pour un utilisateur ; une deuxième qui le nu caché dont la pièce est très peu visible, portant la confusion entre la pièce et la peau du mannequin ; la troisième et dernière est celui artistique ou le mannequin ne portant aucune pièce mais utilisant des objets, parfois même pas, pour masquer ses parties intimes/génitales. Je retiendrai principalement ici la dernière acception du/de la nu/nudité pour construire mon argumentaire, mais j’utiliserai les deux premières comme pont.

Stéphane Malysse dans son « anthropologie du des apparences corporelles » étudie une quatrième et dernière interprétation de la nudité qui se développe dans certaines sociétés en Amérique du Sud, précisément au Brésil, la nudité seconde. Elle décrit l’obsession des femmes dans le choix des vêtements courts, extrêmement décolletés et justes pouvant mettre leur corps en valeur dans le but de tester leur capacité de séduction. Une attitude qui, selon Malysse, détermine le corps comme une monnaie d’échange érotico-social.

Malgré les travaux irréprochables des grands tenants du métier de mannequin, celui-ci n’en reste pas moins qu’un support aux utilisateurs. Ces derniers, très exclusifs dans les critères de sélections, entendent réduire la mode qu’à une infirme partie de pratiquant(e). Les femmes depuis les années quatre-vingt sont de plus en plus dénudées sur les unes de magazines, que les tenues sont plus sexy, plus suggestives et plus moulantes et qu’enfin les corps des mannequins sur les couvertures sont de plus en plus minces, voire maigres. (Lacuisse-Chabot, Nathan-Tilloy, 2004). Ce que montre cette étude, c’est que plus les critères de sélections sont stricts, plus les adhérents sont enclins à des recours divers et variés. Depuis les années 1990 les beautés pulpeuses ne sont guère en vogue. La mode sélectionne et élabore des corps contre-nature car les canons classiques de la beauté féminine sont gommés, les différences sexuelles n’existent plus. Tout doit être ainsi mis en œuvre pour atteindre et conserver cette extrême minceur. Selon les chiffres d’une enquête d’Ocha / CSA, juin 2003, les recours aux régimes amaigrissants sont nombreux : 48% des 18-24 ans ont déjà pratiqué un régime.

Ne voulant plus jouer à la marionnette des utilisateurs, le mannequin entend prendre son indépendance et sa liberté dans les travaux. Une décision osée et révolutionnaire, on l’accorde, puisque cela emportera avec elle des conséquences. Si le travail premier de celui-ci et celle-ci était de porter la pièce d’un designer, et ne pouvant pas s’exercer pleinement si ce n’est sur demande, projette une nouvelle image ; utilisant son corps dénudé. Cette perspective est pour le mannequin un moyen pour sortir de sa dépendance aux utilisateurs et de s’affirmer pleinement. Il souhaite d’autant plus avoir un corps lui appartenant pleinement. En se personnalisant, il se singularise des autres. Le corps est un élément essentiel pour la construction d’une identité particulière. D’ailleurs, la subjectivité du corps affirme depuis quelques décennies le surinvestissement narcissique du corps sur le plan social (Colloque international 17 & 18 Juillet 2019, Corps, Sport et Nudité). Ce qui donne lieu à un nouveau courant dont le mannequin profite sans faille ; le corps lui est alors devenu un projet sur lequel il s’agit de faire évoluer en fonction de sa propre personnalité. Vue l’importance, je consacrerai mon prochain chapitre sur la question d’identité du mannequin.

Cette liberté et l’indépendance de celui et celle-ci passe par-dessus des exigences des agences de mannequins, des designers, et autres utilisateurs ; rejette la question de taille, poids et de la qualité de la peau.

Vers l’absurdité

Je pars du principe qu’« à chaque opportunité son inconvénient ». S’il est vrai que les solutions emportent avec elles des problèmes, la nudité elle-même emporte son côté absurde. Absurdité est pris au sens de restriction de l’éthique et de la morale du corps. Si la raison commerciale du métier de mannequin est de ventre un produit à travers le corps, c’est-à-dire ce dernier est utilisé comme un support, que vend un ou une mannequin dans une pose photographique au corps dénudé ? La réponse la plus plausible est « le corps ». Or, nul ne peut ignorer le poids de la morale sociale et de l’éthique à ce sujet. Pour reprendre Guy Débord dans « la société du spectacle, 1973 » Le mouvement de banalisation qui, sous les diversions chatoyantes du spectacle, domine mondialement la société moderne, la domine aussi sur chacun des points où la consommation développée des marchandises a multiplié en apparence les rôles et les objets à choisir.

L’art transcende les époques et franchit toutes les limites humaines. Un discours qui trouve sa légitimité dans les pratiques artistiques. S’il faut mettre le corps dénudé du mannequin dans la catégorie des œuvres d’arts, la différence entre l’objet et l’artiste ne cesse de semer la confusion. Est-ce le mannequin, l’artiste ? peut-il être à la fois l’objet et l’artiste ? Ou moins encore, le photographe ? La nuance entre le mannequin qui expose son corps dénudé et l’artiste peintre qui expose ce même corps dénudé, est que le premier expose le corps directement sans aucuns accessoires, alors que le second expose le corps dénudé à travers un tableau. Une situation qui mène le/la mannequin vers la marchandisation de lui/elle-même et en fait des matières à exploiter. Il/elle est utilisé-e, échangé-e et/ou vendu-e ; il/elle devient de la marchandise dont la valeur varie en fonction de la qualité de ce qu’il/elle a à offrir : son corps. « La beauté est bien entendu ce qui fait monter les prix, mais la capacité à obéir aux ordres entre aussi en ligne de compte » (SÉGUIN, 2011).

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