D’une approche à l’autre, l’industrie de la mode est au cœur du débat sur lequel elle fait partie des industries culturelles ou de la création (Quemin & Lévy, 2011). Les frontières exactes des industries culturelles ou de la création sont floues, mais elles couvrent en général (au-delà de la mode) des champs d’activité aussi divers que l’architecture, les arts plastiques, le cinéma, l’édition, les jeux vidéo, la musique, la publicité, la télévision ou encore le tourisme ou les sports. Ces industries présentent comme point commun le fait qu’elles sont caractérisées non seulement par la centralité de la créativité et de l’esthétique dans le processus de production, mais aussi par la primauté du loisir dans le processus de consommation (Godard, 2016).

L’industrie de la mode tend à transformer le corps des mannequins ; le fait devenir un « entité modulable » (Meidani, 2007). Cette modulation passe directement par la cosmétique et les objets de parure qui, pour reprendre Le Breton (1999) transforme le corps en une « entité symbolique », en territoire de « reconquête de soi ». Une perspective qui prend en compte les deux approches, culturelles et création, en créant un carrefour auquel elles se rencontrent, le corps du mannequin.

La mode, dans son côté vestimentaire, connait deux grande période par année sectionnée par saison « Printemps/Eté » et « Automne/Hiver » ou les designers présentent leur création. Pour chacune de ces périodes, il y a toujours au moins une cinquantaine de défilé de mode seulement sur la côte occidentale (Jan, 2011). Mais chaque défilé a son propre concept et décor par rapport à la culture et les valeurs de la maison de mode qui fait la présentation (Villaca, 2008). Autrement dit, c’est à travers de ces défilés que les maisons de mode créent les tendances, le style à la mode et les couleurs dominant pour chaque saison.

Qu’en est-il des pays de la caraïbe ? Quelle est le modèle organisationnel des défilés en Haïti ? Quels sont les principaux organisateurs des défilés de mode en Haïti ? Pourquoi les défilés de mode ? De quoi sont-ils constitués ? Nous sommes face à un déclin ou une sorte de desymbolisation des défilés de mode où les organisateurs ne respectent presqu’aucune règle quant aux conditions de participation des mannequins mais aussi par le choix des locaux qui ne sont pas appropriés aux exigences. Toutefois, on compte plus d’une vingtaine de défilé généralement organisé par des agences de mannequins avec des designers travaillant sur des prêts à porter, haute couture et la parure sur principalement la période d’hiver.

Cet article nous permettra de comprendre deux comportements :

  • Le comportement du mannequin quand il porte une pièce pour un designer travaillant sur les effets culturels ;
  • Celui du public assistant vis-à-vis des mannequins avec les pièces qu’ils portent que ce soit locale ou autre.

De l’observation semi-participante

Ce travail se tend sur deux ans d’observation des défilés de mode qui prend en compte deux groupes : les mannequins et le public assistant pour chaque défilé, entre Aout 2018 et Aout 2020 de Port-au-Prince à ses environs, passant par Léogane jusqu’à Petit-Goâve. Sur les deux ans, l’on a sélectionné – par le biais de l’échantillonnage à l’aveuglette – sept défilés organisés par des agences avec au moins quatre designers (stylistes) par défilé travaillant chacun avec un type de tissus et sur des modèles spécifiques : tenues de bains, décontractées, soirées ; locales (cela prend en compte les décontractées et la haute couture) ; transculturelles et parfois même détachées de notre réalité culturelle.

Les défilés de mode se déroulent tantôt dans des hôtels, tantôt dans des restaurants ayant une capacité d’accueil peu convenable aux exigences. Leurs durées ne dépassent pas cinq heures d’affilées et ils commencent jamais à l’heure indiquée sur le prospectus d’une différence de 45 à 90 minutes (les sept défilés sélectionnés) avec une quantité de mannequins des deux genres qui varient entre vingt et quarante et un public diversifié entre les catégories d’âges et de classe sociale, mais majoritairement dans les moins de quarante ans. Certaines fois, les organisateurs invitent des artistes ; certaines fois ce n’est que le Disc Joker (DJ) qui fait tout le boulot du son et un MC. Des musiques « electronic » et/ou « techno house », mais rarement des musiques racines ou même engagées tout court. Quant aux back stages, celui des mannequins et celui des photographes, ils sont rarement spacieux.

De l’entrevue individuelle à l’entrevue de groupe

Les entrevues nous ont permis de faire un recueil complet des informations sur les mannequins, mais également sur le public. Et elles ont été (les entrevues) toutes dirigées vers le sentiment que les mannequins éprouvent sur la passerelle avec une pièce et celui du public envers ces mannequins. La musique aussi en dit long sur la motivation et le sentiment de « byen pase » pour les mannequins non seulement par rapport au rythme utilisé, mais aussi par rapport à l’appréciation du public. Nous analyserons les données en deux groupes : les entrevues individuelles avec le public et les entrevues de groupe avec les mannequins.

D’un côté avec le premier groupe, le public, il estime important de valoriser davantage les travaux des designers et créateurs de mode locaux. Et les défilés sont les lieux le mieux approprié pour le faire. Il voit une nécessité aussi pour que les défilés soient plus haïtiens que possible, haïtien dans le sens que les musiques doivent nous dire quelque chose sur notre réalité culturelle, notre quotidien. Il ne rejette guère un designer qui ne travaille pas directement sur des pièces créoles, mais ces derniers n’ont en effet pas la même appréciation et acclamation pour chaque passerelle d’un mannequin.

Si l’on fait une mode, ça doit pouvoir dire beaucoup sur nos valeurs et mœurs comme peuple. Ils ne sont pas pour une pratique de mode sous l’aspect spirituel du Vodou à savoir les loas et tous ce qui va avec, mais de préférence une pratique qui est sous l’influence d’un certain trait et valeur culturelle.

Cela concerne même les habits qu’ils portent eux-mêmes (le public assistant) dans les défilés. Ils consomment davantage des habits créoles et les portent même dans leur boulot, dans les mariages et autres endroits selon certains. Ce qui leur permet de montrer une sorte d’intérêt pour le local.  Mais, ils sont conscients que cela exige un certain effort de la part du reste majoritaire de la population.

De l’autre côté avec le deuxième groupe, celui des mannequins, ils ont donné leur version des faits groupe par groupe, et chacun avec des expressions et même des émotions différentes. Ils ne sont pas tous même avis sur la question de spécificité des pièces. Ils y en ont qui ne donnent aucun avis sur les travaux, ils sont là que pour porter ce qu’on les ordonne de porter, sans que cela n’ait une certaine signification pour eux.

Pour d’autres catégories, au contraire, ce qu’ils portent sur la passerelle a une signification et cela contribue même à leur niveau de satisfaction pour le défilé. Ils disent être pour une reforme/réorganisation des maisons de mode en Haïti par rapport à la qualité de leur produit.

Tout compte fait, malgré la faible quantité de production des pièces locales dans les maisons de mode ou des designers en Haïti, le public, dans les défilés, reste attacher à l’idée, aux valeurs culturelles et souhaite aussi voir une hausse à la fois sur la production que la consommation. On a vu aussi que certains mannequins croient que quand ils portent une pièce locale pour un designer, cela a un impact positif sur son parcours/carrière de mannequin. A croire à la première impression dans les défilés, il manque une certaine harmonie entre nous-mêmes haïtiens et les créations présentées. Quand vous regardez de plus près, vous allez comprendre tous les éléments à prendre en considération dans ce processus long, difficile et laçant à la fois. Vodouisé est ici pris comme une sorte de transformation de nos valeurs abstraites en matérielles ; une forte influence de notre quotidien sur le modèle créatif designers.

Bibliographie

  1. Angers, M. (2000). Initiation pratique a la méthodologie des sciences humaines. Les éditions CEC Inc., 3 Ed. Québec
  2. Balso, M. D. & Lewis, A. D., (2007). Recherche en sciences humaines : initiation à la méthodologie. Québec.
  3. Godard, F. (2006). Les différents visages de la mode. Sociologie de la mode. Cairn.info le 29/11/2016.
  4. Jan, M. (2011). Le défilé de mode : spectaculaire décor à corps, Sociétés & Représentations. (n° 31), p. 125-136.
  5. Meidani, A. (2007). Les fabriques du corps. Toulouse, France : Presses universitaires du Mirail.
  6. Quemin, A. & Lévy, C. (2011). Présentation : pour une sociologie de la mode et du vêtement. Sociologie et sociétés, 43 (1), 5–15. https://doi.org/10.7202/1003529ar
  7. Turgeon, L. (2008). Review of [Comment draguer un top-modèle. Représentations corporelles de la réussite en Bulgarie. Par Dessislav Sabev. (Québec, Presses del’Université Laval, 2008,
  8. Villaça, N. 2008). Mode et identité dans le contemporain », Sociétés (n° 102), p. 23-29.

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