Une petite enquête auprès de vingt jeunes n’ayant pris part dans aucune agence de mannequins en Haïti suffit pour nous donner une vue générale de leur agencement, mais tout au plus, la dégradation de celles-ci aux yeux, non seulement des mannequins (ceux qui ont entrepris des travaux professionnels dans une agence) et aussi du reste de la société. Quelque chose qui semble, pour ma part, gagner l’intérêt de tout le monde puisque la liste ne cesse de grossir, malgré que cela n’apporte ni goût ni plaisir aux mannequins, mais moins encore aux utilisateurs[1] (Ceux-là qui dirigent une entreprise ou tout autre institution, ou encore pour son compte voulant faire de la publicité pour leur produit nécessitant un mannequin). Sous le silence, complice ajouterai-je, des agents de régulation des institutions commerciales, les agences entendent taye banda yo nan tout kwen (faire ce qu’elles entendent bon sur le terrain) sans restriction aucune.

Aucune inspection de la part de l’Etat n’est entreprise jusque-là pour évaluer le niveau de travail des agences de mannequins ; aucune limitation ou vérification du Ministère du Commerce et de l’industrie (MCI) avant de délivrer le certificat d’enregistrement du nom commercial de l’agence, bien qu’elles soient très peu à en avoir un certificat de la part du Ministère, ou de la Direction Générale des Impôts dans le processus de patente. Une procédure qui devrait être appliquée à toute entreprise sur le territoire.

Je n’entends pas, à travers cette introduction, pour être bien clair, déconstruire les agences de mannequins comme institution commerciale en tant que telle, malgré que ça me semble évident qu’aucune critique, qu’elle se veuille être constructive au plus haut niveau, ne peut épargner son organisation/désorganisation. Loin de l’idée qu’elle, cette introduction, prétend pouvoir élucider tous les problèmes.

Les agences de mannequins

Bien qu’aucune enquête, officielle ou non, n’ait été faite à l’heure actuelle où j’écris (Octobre 2019) pour identifier le nombre d’agences sur tout le territoire, l’on peut compter près d’une centaine d’agence de mannequins seulement dans la région métropolitaine de Port-au-Prince et ses environs. Agence de mannequins est attribuée ici, à mon sens, comme toute tentative d’une ou de plusieurs personnes se voulant monter une entreprise de service dont l’intention était (est) de suivre l’idéal de John Robert Powers[2] (1892-1977), mais, à défaut de structure et rigueur, entendent se mettre à l’idée qu’elles y parviennent. Cette démarcation, aussi arrogante semble-t-elle, je l’accorde, me permettra de m’exprimer librement tout en montrant un signe de respect pour l’idéal de Powers.

En 1923, aux Etats-Unis, John Robert Powers, en vue de répondre, non seulement aux différents besoins des entreprises/institutions, mais également d’institutionnaliser le domaine, a pris l’initiative de monter une agence de mannequins respectant toutes les normes institutionnelles standards ; il faut dire que la pratique est, pour sa part, plus ancienne avec des couturiers en France. Etant une institution commerciale, Powers entend mettre les mannequins, employés, à dispositions des utilisateurs, employeurs, contre un contrat rémunéré à durée déterminée. Une pratique qui a toute suite été répandue en Europe dans l’après deuxième mondiale en 1947 (Vίllaça, 2005). Ce qui, chez nous en Haïti, est très récent, datant dans les périodes de 1990-2000.

L’organisation des agences de mannequins

Si, dans les sociétés où les normes juridiques sont à l’ordre, les institutions pour pouvoir s’exercer, doivent suivre des procédures formelles et légales, nous sommes face à une toute autre procédure en Haïti, celle de l’informel et de l’illégale. Cela est donc la résultante, de la part de ceux qui entendent monter des agences, un manque de connaissance dans le domaine, au pire n’ayant absolument aucune connaissance. Mais étant donné qu’aucune restriction n’est faite, ils s’acharnent, sans scrupule je dirais même, à en créer ; avec des noms venant d’ici et d’ailleurs. Ce qui peut vous aider à identifier que telle est une agence de mannequins, c’est la « agency » qui suit le nom. Certaine fois, même trop souvent, je me pose cette question : Pourquoi autant d’agences de mannequins malgré la quasi-absence totale de demande des utilisateurs auprès d’elles ?

Une entreprise ou un makrèl[3] ?

Toute entreprise, qu’elle soit une entreprise de bien ou de service, au sens de l’organisation se situe dans un marché. Sa production, de biens et/ou des services, objets de consommations, lui devient extérieure. Celle-ci, pour sa croissance, doit définir des politiques de communication et des stratégies de marketing ; lesquelles doivent prendre en compte toutes les situations en fonction du marché. En produisant des choses et des services, l’entreprise, pour reprendre Edgar Morin, en même temps, s’autoproduit. Cela dit, le produit n’est pas totalement indépendant de l’entreprise qui le produit. La relation existante entre eux, est réciproque. On produit des choses et l’on s’autoproduit en même temps ; le producteur lui-même est son propre produit, ajoute-t-il.

Nous sommes dans une toute autre réalité dans les agences de mannequins qui sont réputées être des entreprises de services. Elles sont totalement absentes, ou presque sur le marché. Même si l’on connait déjà les causes qui sont à la base de cette absence, elles ne disposent d’aucune formation adéquate pour les mannequins, n’ayant aucune rigueur juridique, ne respectant aucune procédure légale d’une entreprise commerciale.

Vous vous posez, peut-être la même question que moi maintenant, pourquoi toutes ces agences de mannequins ? Ce qu’il faut comprendre dans cette dynamique, les patrons des agences de mannequins n’envisagent nullement de gagner de l’argent avec des utilisateurs, ou tout au moins, ce n’est pas l’objectif premier. Mais bon, la conjoncture ne se les permet pas. Mais ils se disent quand même être des gagnants, et il y a tellement de garantie à être gagnant dans ce jeu, ils ont des suiveurs. Qu’ont-ils à gagner ? Une question qui me semble bien stupide, mais la réponse risque encore plus à être décevante. Les agences de mannequins sont, d’une part un espace de promotion de l’homosexualité (homosexualité n’est pas prise ici en terme de discrimination), et d’autre part, un espace de vente du corps dénudé des mannequins. S’il est un tabou dans notre société de s’exposer au vu de tout le monde, son corps nu et encore plus son orientation sexuelle, les agences constituent pour ceux-là un foyer dans lequel tout est permis. Mais telle n’est ma préoccupation première. Je consacrai un article en entier à ce propos.

Les patrons des agences, autour de ce vide institutionnel, cherchent à construire leur capital[4]. Dans un premier temps, les mannequins les payent pour des formations qu’ils n’ont jamais reçues. Dans un deuxième temps, ils profitent d’abuser les filles et garçons sexuellement, objets des avances de toutes sortes, en leur promettant qu’ils leur donneront plus d’opportunités que les autres ; leur facilitant à participer à plus de défilés de mode ; plus de shooting photo ; plus de tout. Aussi naïfs soient-ils, les mannequins, ou aveuglés par l’idée de devenir célèbre à tout bout de champ, se laissent aller sans hésitation aucune.

Quelles perspectives ?

Cette tentative, qu’elle soit simpliste, agaçante et pleine d’arrogance est le point de départ des travaux de toute une nouvelle génération de mannequins professionnels mettant en cause les agences. L’on ne peut prétendre pouvoir mettre fin, sur le coup à ces dernières, du fait que leur pratique perdure dans le temps. Mais à contrecourant, toute entreprise du même genre en réponse à leur pratique, bien que risquée, peut diminuer les vagues et tenter, du même coup, de reconstruire l’image.


[1] Terme utilisé à partir de 1923 avec Powers pour identifier la catégorie des professionnels sollicitant le travail du mannequin.

[2] Le premier à avoir institutionnalisé le domaine du mannequin. The Robert Powers agency, le nom de son agence de mannequins qu’il a monté en vue de valoriser le travail de chaque mannequin, mais aussi de pouvoir aux exigences de la publicité.

[3] Terme désignant un regroupement de personne, essentiellement amical sans aucune structure formelle.

[4] Capital ici est pris dans son acception sociologique avec Pierre Bourdieu.

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